Economie verte : vers un débat factuel, au-delà des idéologies ?

Le Conseil national est donc entré en matière sur le contre-projet du Conseil fédéral à l’initiative des Verts pour une économie verte. Mais par une seule voix, qui n’était pas, comme le suggérait un Vert facétieux sur Twitter, celle de #Popeforplanet, mais celle du président du Conseil national. Le débat de détail aura donc lieu à la session de septembre ce qui permettra, si la logique partisane liée aux élections ne prend pas le dessus, de moderniser enfin la Loi sur la protection de l’environnement.

C’est en effet de cela qu’il s’agit. A ce jour, cette loi ne traite pas de la gestion durable des ressources, alors qu’il s’agit du grand défi économique et écologique de ce siècle. Elle ne traite pas non plus de notre impact écologique à l’étranger, alors qu’une économie ouverte comme la nôtre cause près de 70 % de ses dégâts environnementaux hors de nos frontières.

Très concrètement, il s’agit d’améliorer nos méthodes de recyclage et de revalorisation des matériaux, dans le sens d’une économie circulaire. La nouvelle loi encouragerait par exemple la revalorisation des métaux contenus dans les scories de nos usines d’incinération. Deux tiers des déchets métalliques finissent en effet dans nos poubelles. Ceci équivaut à jeter chaque année un montant de 100 millions de francs, dont 10 millions de francs rien que pour l’or, et des matériaux indispensables à notre économie, que nous devons ensuite importer à grand frais. Autre exemple, le phosphore, un intrant utilisé par nos agriculteurs, que nous importons et pour lequel des pénuries sont attendues dans quelques décennies déjà, pourrait être extrait de nos boues d’épuration et réutilisé. On se demande pourquoi économiesuisse lutte depuis des mois, accessoirement avec une étude qui porte sur une version périmée de la loi, contre de telles mesures, au nom du franc fort. La revalorisation des matériaux est dans l’intérêt de notre économie : elle la rend plus autonome face aux importations et lui assure un approvisionnement plus sûr pour des matériaux dont elle a besoin. En outre, développer notre savoir-faire dans ce domaine de pointe fait partie de la politique d’innovation dont notre pays a aujourd’hui besoin plus que jamais.

L’argument du franc fort ne tient pas d’avantage la route pour ce qui concerne les conventions d’objectifs avec l’économie, que la Confédération pourrait conclure au cas où les mesures volontaires échoueraient, dans le but de réduire l’impact écologique de certaines ressources que nous importons, pour autant que des standards écologiques internationaux existent (bois, coton, tourbe ou huile de palme). Là aussi, l’économie suisse serait gagnante : l’industrie du bois soutient notamment la loi. Elle réduirait la concurrence déloyale du bois issu de coupes illégales, dont l’Europe a, elle, judicieusement interdit l’importation. Des entreprises comme Coop et Migros, à coup sûr concernées par de telles conventions d’objectifs, y sont aussi favorables. Pourtant, toutes deux sont touchées par le franc fort, via le tourisme d’achat. Mais ces grands distributeurs ont compris que l’assurance d’une bonne qualité de l’assortiment, notamment écologique, est une arme efficace contre ces difficultés de concurrence. Il faut dire encore que les principes de subsidiarité, de rapport entre les coûts et l’utilité et de prise en compte des contraintes économiques sont formellement ancrés dans la loi. C’est pour cela que les milieux économiques directement concernés, ceux qui se sont sérieusement penchés sur elle, la soutiennent.

Le projet pilote REFFNET vient de montrer qu’un franc investi par la Confédération et les entreprises dans l’efficacité des ressources débouche sur dix francs d’économies. La gestion intelligente des ressources rend nos entreprises plus concurrentielles. Elle constitue précisément un plus, face au défi du franc fort. Ceux qui souhaitent défendre une économie efficiente, innovante et prospère seraient donc bien inspirés de soutenir le contre-projet du Conseil fédéral à l’initiative des Verts pour une économie verte. Mais pour cela, il faudra oser sortir des vieilles idéologies et cesser d’opposer de manière stérile économie et écologie. 

Adèle Thorens Goumaz

Adèle Thorens Goumaz est conseillère aux Etats verte vaudoise. Elle a coprésidé les Verts suisses entre 2012 et 2016 et siégé au Conseil national entre 2007 et 2019. Philosophe et politologue de formation, elle a obtenu un certificat postgrade en politiques de l’environnement et de la durabilité à l’IDHEAP. Elle a ensuite fait de la recherche et de l’enseignement en éthique et en gestion durable des ressources, puis travaillé comme responsable de la formation au WWF Suisse. Elle siège actuellement à la commission de l’économie, à la commission des finances et à la commission de l’environnement du Conseil des États. Ses dossiers de prédilection sont l'économie circulaire, la finance durable, la transition énergétique, la préservation du climat, l’agriculture et la biodiversité. Plus d’informations sur www.adelethorens.ch