Il faut repenser le système fiscal après la pandémie

La pandémie de la Covid-19 entraine des changements structurels qui ne vont pas disparaître lorsque cette pandémie ne sera plus qu’un terrible souvenir.

Parmi les changements les plus évidents on trouve les habitudes d’achat et de travail à distance d’une partie désormais importante de la population, en Suisse comme ailleurs. Le travail à distance pousse les entreprises à accroître le degré de digitalisation de leurs activités, essayant de cette manière de réduire les coûts de production, en particulier la masse salariale et de là les charges sociales qu’elles doivent payer.

Si le commerce électronique comporte une baisse du niveau d’emploi en Suisse, en particulier pour les petits commerces de toute sorte, la digitalisation et la délocalisation à l’étranger de beaucoup de places de travail qui auparavant étaient en Suisse feront augmenter de manière dramatique le chômage dans ce pays, bien au-delà de ce qui apparaît dans les statistiques officielles.

L’État peut et doit jouer absolument son rôle afin d’éviter la paupérisation et la rebarbarisation de la société. En particulier, il faut repenser le système fiscal pour faire en sorte d’assurer le financement des politiques économiques (en premier lieu les assurances sociales), déplaçant la charge fiscale du travail vers le capital financier qui, en l’état, ne participe aucunement à ce financement. Le système fiscal contemporain, en effet, est dépassé par les événements, parce qu’il a été bâti après la Deuxième guerre mondiale, entendez à une période où le travail était diffusé à large échelle et au centre du capitalisme, tandis que les transactions à travers les marchés financiers n’étaient pas prépondérantes comme elles le sont devenues de manière croissante à partir des années 1980 jusqu’à présent.

Le prélèvement d’un micro-impôt sur le trafic des paiements sans espèces représente une clé de voûte à cet égard, remplaçant la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui pèse sur les dépenses de consommation et qui est antisociale dans la mesure où elle impacte davantage la classe moyenne que les personnes riches du fait que son barème est le même pour n’importe quelle catégorie de contribuables. Un tel micro-impôt sera perçu aussi sur les transactions financières, de manière à faire participer les acteurs sur les marchés financiers au financement des politiques économiques et sociales.

Contrairement à ce que ses détracteurs affirment, ce micro-impôt sera utile aussi à la grande majorité des entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises, pour au moins deux raisons. D’un côté, leur chiffre d’affaires va augmenter suite à l’augmentation de la capacité d’achat des consommateurs, qui ne paieront plus de TVA. De l’autre côté, ces entreprises ne devront plus supporter la lourde charge bureaucratique que le prélèvement de la TVA comporte.

Si la Suisse est le premier pays à introduire ce micro-impôt à la place de la TVA, elle en obtiendra un avantage compétitif de premier plan au niveau international. Elle pourra renforcer son propre système économique, accroissant aussi son degré de stabilité financière et contribuant ainsi au bien commun, y compris à la cohésion sociale (qui est en train de s’effriter en cette période de crises incessantes).

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

6 réponses à “Il faut repenser le système fiscal après la pandémie

  1. C’est une idée intéressante, mais à mon avis irréaliste dans la mesure où la TVA est un système qui a été mis en place partout, et surtout dans l’UE, et qui fait partie intégrante du mécanisme institutionnel communautaire européen.

    Par conséquent, pour rien au monde nos dirigeants ne prendront le risque d’un conflit avec l’UE, surtout pas maintenant qu’elles viennent déjà de prendre une décision courageuse en mettant un terme aux négociations sur un accord cadre. Nous pouvons nous réjouir de cette décision courageuse, mais la conséquence sera encore plus d’immobilisme car le CF et le parlement voudront éviter au maximum toute friction avec l’UE.

    Avec le temps qui s’écoulera, il se peut que le statut de pays tiers qui sera celui de la Suisse, lui permettra de temps en temps des évolutions divergentes de celles de l’UE. Petit à petit peut-être que la Suisse s’enhardira et se permettra plus de souveraineté dans ses décisions, mais certainement pas au point de prendre des initiatives aussi audacieuses que celle que vous préconisez.

    En résumé, je pense qu’il n’y a aucune chance pour que votre suggestion soit retenue par nos autorités, et ceci est vrai tant pour les représentants de la gauche que de la droite.

  2. Monsieur,
    Je ne peux qu’abonder dans votre sens. J’y ajoute les arguments suivants :
    Ce micro-impôt permettrait de modérer la frénésie du trading à haute fréquence et l’ardeur des traders à acheter des biens dont ils n’ont aucun besoin et qu’ils revendent le plus cher possible, dans les plus brefs délais et en en retirant, sans le moindre effort, un bénéfice volé aux acheteurs finaux.
    Les honnêtes citoyens verraient moins leurs maigres économies dévaluées par l’hypertrophie des masses monétaires directement pompées par les casinos boursiers. La finance passerait du vol organisé à un fonctionnement moins amoral et certainement moins nuisible au bien commun.
    En conclusion : un impôt simple, proportionnel à l’activité économique ou financière et universel.

  3. Si j’abonde effectivement dans le sens de la pertinente chronique du professeur Sergio Rossi, et pour autant qu’en théorie l’objectif recherché par nos pouvoirs politiques soit l’intérêt général, la réalité nous amène de plus en plus à voir l’État comme le client essentiel des secteurs “stratégiques” de nos systèmes. Autrefois, les égyptiens pensaient que Pharaon était, de par son pouvoir suprême, à l’origine de la pluie. Aujourd’hui encore, beaucoup pensent que le pouvoir politique peut “faire la pluie et le beau temps”, or, depuis 2008 et les crises successives, nous mesurons mieux la température d’un sentiment omniprésent dans nos sociétés réelles, celui marquant cette incapacité du pouvoir politique à contrôler l’économie et la finance, à influer sur ce qui s’est dématérialisé (l’argent, les flux financiers…), la complexité du monde laissant la financiarisation asseoir sa suprématie en profitant sans vergogne de statuts (et systèmes) fiscaux exeptionnellement extra-ordinaires. Si désuets sur le plan du bien commun, pourtant, mais toujours communément admis par un océan de serfs. D’ailleurs, cet asservissement contre nature fût aussi observé en matière d’inégalités lorsque le professeur et économiste hétérodoxe, Paul Krugman (prix “Nobel” d’économie en 2008), constatait cette même année ô combien les inégalités de revenus aux États-Unis sont redevenues aussi extrêmes qu’en 1920; les électeurs ayant pourtant voté en majorité – jusqu’en 2006 au moins – pour des candidats cultivant cette évolution. Faut-il alors croire que le “quidam” est à ce point tombé amoureux de sa propre servitude ou qu’il n’a simplement rien de rationnel sur le plan de l’homo oeconomicus? Nul doute que l’économiste Richard Thaler (un des pères de la science comportementale et titulaire du prix “Nobel” d’économie en 2017) penchera pour la deuxième option, lui qui a magistralement déboulonné la notion de l’agent économique selon la conception de l’économiste britannique John Stuart Mill (1806-1873). Paul Krugman concluera que “l’évolution des inégalités puise avant tout sa source dans des facteurs politiques”, tout en renchérissant que “la vie politique est bien tenue par les ploutocrates ». L’injustice fiscale n’échappant à cette “règle”.

    Certes, le pouvoir politique n’est qu’un pouvoir parmi d’autres et si l’on y regarde de près, le pouvoir politique a toujours dû composer avec d’autres forces : la religion, les banques, les médias, l’opinion publique…auxquelles s’ajoutent aujourd’hui les grandes multinationales et plus récemment les géants du numérique et des new tech’s (comprenant la robotique et l’intelligence artificielle). James M. Buchanan (prix “Nobel” d’économie en 1986) nous rappelait à cet égard que “si vous voulez améliorer la politique, changez les règles et revoyez la structure. N’attendez pas que les politiciens changent de comportement. Ils agissent en fonction de leurs intérêts”. Pourtant, avec le levier des politiques monétaires non conventionnelles, le pouvoir politique n’a jamais eu autant les moyens d’exercer son pouvoir pour le bien commun en reprenant la main, tout comme celui de saisir l’opportunité à déserrer l’étau de son fâcheux syndrome de Stockholm. Et pourtant! À l’instar des dix plaies d’Égypte selon l’Exode, nous faudra-t-il endosser de tels châtiments pour que “Pharaon” se ravise, ou combien de crises faudra-t-il endurer afin que le pouvoir politique retrouve du courage? “Si le monde ne touche pas à sa fin, il a atteint une étape décisive dans son histoire, semblable en importance au tournant qui a conduit du Moyen-âge à la Renaissance. Cela va requérir de nous un embrasement spirituel. Il nous faudra nous hisser à une nouvelle hauteur de vue, à une nouvelle conception de la vie, où notre nature physique ne sera pas maudite, comme elle a pu l’être au Moyen-âge, mais, ce qui est bien plus important, où notre être spirituel ne sera pas non plus piétiné, comme il le fut à l’ère moderne…”; cet extrait daté d’Alexandre Soljénitsyne – Le Déclin du courage – fait partie de son discours prononcé le 8 juin 1978 à l’Université américaine de Harvard, dont la devise est Veritas, et qui demeure toujours d’actualité. 

  4. La réforme fiscale proposée par le G7 divise en Suisse, et pour cause. 

    D’une part, le taux d’imposition moyen des sociétés est de 17,1 % et le taux d’imposition le plus bas de 11,35 %, ce qui, selon une enquête réalisée en 2019 par PwC, place la Suisse parmi les pays appliquant les taux d’imposition les plus bas sur la scène internationale. Quant à l’anecdote de l’IFD, avec un taux d’imposition statutaire de 8,5 % qui s’applique aux sociétés de capitaux et autres personnes morales, puis les fonds d’investissement taxés à hauteur de 4,25 %, on saisit mieux l’injustice fiscale opposant toujours Capital et Travail. Pour ce qui a trait à présent à la transgression fiscale assistée des géants du numérique pour laquelle la Suisse reste peut encline à vouloir corriger cette injustice – autre que celle de leur situation monopolistique et cartellaire – à contrario de ses voisins européens,  rappelons-nous tout de même que le taux moyen d’imposition des multinationales du numérique, qualifiées de GAFAM, n’est que de 9% contre 23% pour les entreprises européennes en général. 

    Et d’autre part, comme si l’injustice fiscale n’était encore suffisante pour dynamiser les profits du grand Capital, on peut y rajouter sans complexe le levier de la déliquescence du filet social de protection (à l’instar de l’AVS en quête perpétuelle de financement, par exemple, et parmi d’autres) comme la Suisse néolibérale sait très bien le faire depuis plusieurs années. Qui osera prétendre au regard des dépenses sociales de nos voisins – alors même que la Suisse dort toujours sur un “trésor de guerre” qui ferait pâlir les plus grandes ploutocraties – que le transfert des richesses ne s’opère pas dans le sens inverse de la “Trickle down theory”? Et qu’il n’y a pas une fâcheuse régression dans ce pays :

    Dépenses sociales publiques en pourcentage du PIB, en 1960, 1990 et 2016
    http://www.oecd.org/fr/els/soc/OCDE2016-Le-Point-sur-les-depenses-sociales.pdf

    Dépenses sociales publiques en pourcentage du PIB, en 1960, 1990 et 2018
    http://www.oecd.org/fr/social/soc/OCDE2019-Le-point-sur-les-depenses-sociales.pdf

    Il va sans dire qu’une plus grande équité fiscale dégagerait une meilleure qualité de vie pour une majorité tout en limitant les inégalités sociales qui sont autant de freins à la croissance économique. 

    Que de souvenirs datés mais néanmoins toujours d’actualités (chronique & posts):

    https://blogs.letemps.ch/sergio-rossi/2018/10/01/la-promotion-economique-ne-se-fait-pas-avec-des-cadeaux-fiscaux/

    1. Avec son ouvrage “Arguing With Zombies” (Lutter contre les zombies – 2020) l’éminent Paul krugman, célèbre éditorialiste du New York Times et prix Nobel d’économie dénonce les “idées-zombies” propagées depuis des lustres par la droite américaine. Des idées largement reprises sur le vieux continent; des mensonges que la science économique et les faits contredisent pourtant mais que cette droite (néolibérale) américaine continue d’entretenir – et véhiculer outre atlantique – pour biaiser le débat public et privilégier une poignée d’intérêts privés au détriment du plus grand nombre. À l’heure où les inégalités explosent et où les politiques d’austérité aggravent toujours la situation des plus démunis, Paul Krugman, s’insurge contre cette malhonnêteté intellectuelle. Ce dernier va jusqu’à révéler une série de manipulations politiques, tels le déni du changement climatique, les tentatives de baisser les impôts des plus riches, les attaques de mauvaise foi contre le système de protection sociale, autant de phénomènes qui résonnent aussi chez nous. Ces analyses particulièrement décapantes sur l’Amérique d’aujourd’hui (et par analogie sur les dogmes auquels nous sommes aussi contraint sur notre continent) sonnent comme un véritable appel au combat : “Il est encore temps de se battre pour la vérité et pour la justice en éradiquant toutes les idées-zombies”, nous dit Paul Krugman.

      Si le monde compte nombre d’économistes éminents, estimés par leurs pairs et écoutés par les têtes dirigeantes, aucun n’a la célébrité de ce professeur titulaire d’économie à la City University de New York et il doit être le seul prix Nobel à avoir inspiré un tweet de Donald Trump réclamant son congédiement immédiat. La virulence de ses chroniques ne pouvait que lui attirer l’inimitié de l’ancien président américain. Traité de gauchiste, ironie de la chose, le gradualisme de Krugman et sa défense des marchés réglementés sont néanmoins décriés par la gauche progressiste presque autant que par la droite. Et disons-le aussi, Krugman a débuté comme conseiller économique à la Maison-Blanche sous Ronald Reagan (à des années lumières du gauchisme des clivages réducteurs) à l’époque des mantras du”Laisser-faire”. Mais en 1999, neuf ans avant le prix Nobel, le temps avait passé, et c’est la rage au ventre qu’il entamait sa collaboration avec le New York Times, dès lors son terrain de guerre contre les morts-vivants idéologiques.

      Le professeur en économie, Paul Krugman, a créé le terme “idée-zombie” pour parler du mythe, maintes fois réfuté, maintes fois ravivé, voulant que les Canadiens traversent la frontière en masse pour se faire soigner aux États-Unis. Il applique son néologisme, depuis, à d’autres croyances de la même farine : les “tribunaux de la mort” de l’Obamacare, la psychose autour du déficit ou encore, “zombie suprême”, la prospérité générale qui découlerait d’un allègement du fardeau fiscal des mieux nantis.

      Sa critique des politiques religieusement néolibérales à l’époque de George W. Bush, notamment, n’a pas pris une ride. Dès 1992, il s’insurge contre les entourloupettes rhétoriques de la droite. L’économiste évoque souvent ce “zombie suprême” qui dominera le débat sur les politiques socioéconomiques américaines et qui se propageront telle une trainée de poudre au reste du monde animé par le même dogme du “trop d’impôt tue l’impôt”. Le zombie ultime pour Krugman?

      Les avantages de la réduction des impôts payés par les riches et dont l’alibi de la théorie du ruissellement serva de levier. Les américains en ont déjà conscience et l’ont fait aussi savoir par le biais de leur nouveau président lorsque ce dernier déclarait: “La théorie du ruissellement n’a jamais fonctionné. L’économie doit marcher du bas vers le haut, du milieu vers l’extérieur”. Dans un discours tourné vers les classes populaires et moyennes, il martelait : “Mes compatriotes, la théorie du ruissellement économique n’a jamais fonctionné… 20 millions d’Américains ont perdu leur emploi pendant la pandémie alors que 650 milliardaires ont augmenté leur richesse de 1000 milliards de dollars”. Une récente étude publiée fin décembre 2020 par le prestigieux Kings College de Londres a apporté un soutien à l’argument selon lequel cette théorie n’a jamais apporté les effets escomptés. Alors que les impôts des plus aisés ont reculé dans les économies développées au cours des 50 dernières années, les effets de ces mesures ne se retrouvent nulle part, ni au niveau des performances du pays, du taux de chômage ou du PIB par habitant. Supprimer (ou baisser) un impôt dans l’espoir de voir les revenus économisés servir au plus grand nombre est parfaitement aléatoire. Toutes les études tendent à démontrer que la réponse à la baisse des impôts est assez faible. Même le FMI, considéré aussi comme un temple du néolibéralisme, l’a constaté dans une étude datant de 2015. On peut ainsi y lire : “Nous constatons que l’augmentation de la part du revenu des pauvres et de la classe moyenne augmente la croissance, tandis qu’une augmentation de la part du revenu des 20% supérieurs entraîne une croissance plus faible – c’est-à-dire que lorsque les riches s’enrichissent, les avantages ne se répercutent pas sur le revenu”.

      Krugman donne ses quatre règles d’or de l’analyste politique. Les deux premières (“privilégier les sujets simples” et “utiliser un langage courant”) ne prêtent pas à controverse, mais les deux autres (“dénoncer les arguments malhonnêtes” et “révéler les conflits d’intérêts sous-jacents”) sont sans doute plus polémiques. Il exhorte également les journalistes, tout comme ses collègues (les experts), à éviter l’impartialité exagérée. Son exemple préféré? Admettre la divergence d’opinions sur la forme de la Terre. À ses yeux, ceux qui la déclarent plate ne méritent pas la moindre couverture médiatique. Ces règles reflètent ce que pense Krugman de certains analystes conservateurs inébranlables. S’il écoute volontiers les arguments de ses collègues économistes conservateurs modérés, il s’insurge contre de prétendus analystes au conservatisme outrancier, qui ne répandent pas des idées qu’ils croient vraies. Non. Comme on l’a vu à l’ère Reagan, elles sont fausses et ils le savent pertinemment. Paul Krugman juge ces analystes plus traîtres encore que les partisans de la Terre plate. Il avance que la théorie du ruissellement (la richesse cascadera vers le bas, dit-on) est précisément détournée à des fins politiques pour favoriser les plus fortunés. C’est un prétexte commode pour réduire les dépenses sociales (comme par exemple l’AVS en Suisse).

      Les “zombies suprêmes” continuent donc de gangrener nos sociétés démocratiques, les marchés financiers, eux, restant cloîtrés dans cette exubérance irrationnelle qui les satisfont même si les bulles stratosphériques cherchent à enfoncer les portes. Quant aux élites, ils poursuivent cette fuite en avant en arrosant bien sagement toutes les “idées-zombies” comme celles issues des travaux d’Eugène Fama, Milton Friedman et Burton Malkiel pour qui le vide laissé par l’État se comble naturellement par le développement hyperbolique d’un secteur financier dès lors (et toujours) qualifié d’ “efficient”, voire de “parfait”. Pour ces derniers, cette finance était en effet appelée à rendre tous les services à l’économie. Les marchés seraient une sorte de juge de paix qui remettrait de l’ordre dans les finances des entreprises et des ménages en imprimant tous les pans de l’économie de sa bienveillante efficience.

      Enfin, je termine avec cette expression tellement d’actualité empruntée à l’économiste Richard Thaler (professeur à l’université de Chicago – titulaire du prix en l’honneur d’Alfred Nobel en 2017 – considéré avec Daniel Kahneman comme le père fondateur de l’économie comportementale):

      “Aujourd’hui, les fous sont à la tête de l’asile!”

  5. Et si la révolution copernicienne 2.0…s’était maintenant?

    Quitte à l’écrire perpétuellement, la promotion de l’emploi, la recherche & le développement ne sont désormais plus la priorité des entreprises cotées en bourse qui rachètent frénétiquement leurs propres actions afin d’en faire encore (et toujours) monter les cours pour faire gagner leurs actionnaires. Ce phénomène démocratisé à travers le monde depuis la crise financière et économique de 2007/2008 – et emblématique depuis plus de douze ans – profite bien évidemment de la crise sanitaire Covid-19. Alors que les sociétés cotées US avaient dépensé 60% de leurs profits entre 2015 et 2017 au petit jeu des buybacks – dopé par des concessions fiscales étatiques – l’employé de McDonald’s aurait eu droit à une augmentation annuelle de salaire de 4.000 $ si son entreprise n’avait utilisé 21 milliards sur cette période pour racheter ses propres actions en bourse. Ceux de Starbucks 7.000 dollars de plus, et ceux de Home Depot encore 18.000 dollars de plus, selon une analyse menée par la National Employment Law Project aux USA. Tandis que les salaires de leurs responsables suprêmes étaient 127 fois plus élevés que leur salaire médian. L’économiste Paul Krugman (Nobel d’économie en 2008) dénonçait en 2018 cette hérésie qui postule (toujours) que “la baisse du taux d’imposition des sociétés encouragerait les entreprises à investir davantage dans de nouvelles usines et de nouveaux équipements, ce qui créerait des emplois et stimulerait l’économie”. Même le fleuron de Wall Street, Goldman Sachs (sous l’angle de l’analyse financière, après le relais de son CEO, LIoyd Blankfein, qui s’était drapé au plus fort de la crise du subprime du qualificatif de “banquier faisant le travail de Dieu”) exprimait son inquiétude à propos des sociétés qui se concentraient sur le retour de vastes quantités de liquidités avec leurs programmes de rachats d’actions propres au lieu d’investir dans l’économie réelle.

    La crise sanitaire Covid-19, succédant aux crises successives post 2007, nous scotche toujours à cet obscurantisme qui prévalait aux 16ème et 17ème siècles, alors même que le Clergé endossait le rôle de l’État d’aujourd’hui, et que les hétérodoxes à l’instar de Copernic et Galilée faisaient face aux doctrines de Ptolémée. Un obscurantisme qui, au 21ème siècle, à l’ère de la financiarisation, semble avoir re-gagné ses lettres de noblesse totalement perdues lors du passage au siècle des Lumières. Nous avons tellement vite oublié les leçons de l’histoire? En amont des assemblées générales des géants de l’industrie pharmaceutique ayant développé un vaccin anti-covid, la “People’s Vaccine Alliance” ont calculé que Pfizer, Johnson & Johnson et AstraZeneca ont versé 26 milliards de dollars de dividendes et de rachat d’actions à leurs actionnaires au cours des 12 derniers mois. Cette somme suffirait à payer les doses de vaccins d’au moins 1,3 milliard de personnes. Alors que l’économie mondiale reste en berne en raison du déploiement lent et inégal des vaccins dans le monde, que les sociétés civiles se fracturent face aux mesures coercitives et autoritaires des gouvernements frappant les aspects sociétaux, la flambée des parts des entreprises pharmaceutiques a créé une nouvelle vague de milliardaires (fondateurs/dirigeants/actionnaires). Au même moment, la Chambre de commerce internationale prévoit des pertes économiques allant jusqu’à 9 000 milliards de dollars pour l’économie mondiale en raison (seulement) des inégalités vaccinales mondiales.

    Savons-nous seulement que Moderna, Pfizer / BioNtech, Johnson & Johnson, Novovax et Oxford / AstraZeneca ont reçu des milliards de dollars de financement public et des précommandes garanties, dont 12 milliards de dollars du seul gouvernement américain? Que ces “pharma” – comme autant de leviers à la financiarisation de nos économies modernes – ont également mis à profit de nombreuses années de recherche et de développement financées par des fonds publics? Les chercheurs des universités unis pour les médicaments essentiels ont découvert que 3% seulement des coûts de R&D pour développer le vaccin Oxford / AstraZeneca et sa technologie sous-jacente étaient financés par le secteur privé.

    Les vaccins à ARN messager de Moderna et Pfizer / BioNTech sont en passe de devenir deux des trois produits pharmaceutiques les plus vendus au monde. Les entreprises prévoient des revenus de 33,5 milliards de dollars en 2021 grâce à leurs vaccins. Leurs vaccins sont également les plus chers, allant de 13,50 $ à 74 $ par doses, les deux entreprises cherchant à augmenter les prix. Lors d’un appel aux investisseurs, Pfizer a cité entre 150 $ et 170 $ la dose comme prix moyen qu’ils facturent pour leur vaccin. Ceci malgré une étude de l’Imperial College de Londres montrant que le coût de production des nouveaux vaccins à ARN messager pourrait être compris entre 60 centimes et 2 dollars la dose. Tout ceci avec la bénédiction du “Clergé”, respectivement, des gouvernements. Les deux entreprises ont également vendu la grande majorité de leurs doses à des pays riches. Moderna a jusqu’à présent attribué 97% de ses vaccins aux pays riches et Pfizer 85%. Développé conjointement avec les National Institutes of Health du gouvernement américain, le vaccin de Moderna devrait générer 5 milliards de dollars de bénéfices en 2021. La société a reçu 5,45 milliards de dollars de subventions publiques. Par ailleurs, il est un secret de polichinelle que l’entreprise a établi une filiale à Bâle où l’impôt sur les sociétés ne dépasse pas 13%. Et les brevets du vaccin Moderna déposés au Delaware (Un état US bien connu de la Suisse puisqu’il a domicilié la société de portage des actifs toxiques de l’UBS avec le soutien de la Banque Nationale Suisse: StabFund Inc, Delaware. Et du soutien de la FED qui a créé “un marché des actifs toxiques” en rachetant pour plus de 2 000 milliards de dollars de “dettes pourries” afin d’épurer son système financier) cet État américain qui n’impose pas, entre-autres, les revenus provenant d’actifs incorporels, tels que les brevets.

    Au total, 1,5 milliard de doses du vaccin Moderna ont été commandées pour 2021 et 2022, dont 460 millions de doses pour l’UE et 500 millions pour les États-Unis. Cela coûtera à l’Union européenne 10,3 milliards de dollars et aux États-Unis 7,5 milliards de dollars. L’étude estime que la société générera quelque 18,4 milliards de dollars de revenus grâce aux ventes de vaccins.

    Je laisserai aux soins des “7 sages” d’effectuer les calculs pour la Suisse, après, l’on pourra toujours les viser. Ceci étant dit, avant d’envoyer l’ardoise économique, sociale et sociétale à l’océan de serfs – que se soit par le biais du remboursement (orthodoxie budgétaire) de la dette publique ou sous la forme de réformes structurelles à venir – il faudra bien lui rendre des comptes. Et pour revenir à Galilée – en 1610 – la Papauté lui avait interdit l’enseignement de ses travaux jugés “subversifs” par l’idéologie dominante et les lois de l’Église (l’inquisition) avant son transfert – en 1633 – devant son tribunal: “la Sacrée Congrégation du Saint-Office”. Le siècle des Lumières (1900) mettra fin à des siècles d’obscurantisme et validera les travaux unanimement reconnus des hétérodoxes que furent Galilée et Copernic.

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