Une solution au casse-tête des initiatives acceptées : le référendum obligatoire pour la loi d’exécution

L’initiative dite de « mise en oeuvre » aurait été inutile

Le peuple et les cantons suisses se prononceront le 28 février 2016 sur l’initiative populaire « Pour le renvoi effectif des étrangers criminels (Initiative de mise en œuvre)». Au-delà de son contenu et de sa claire volonté de limitation des droits de l’homme, l’initiative « de mise en œuvre » pose un défi inédit à l’institution même de l’initiative populaire.

L’initiative « de mise en œuvre » de 2016 a pour seul but de forcer l’exécution d’une initiative « sur le renvoi » de même contenu, acceptée en votation en 2010. Mécontente de la lenteur de la procédure et du contenu de la loi d’application, l’UDC a lancé et fait aboutir l’initiative « de mise en œuvre », qui veut faire exécuter de manière plus détaillée et contraignante l’initiative « sur le renvoi ». Cette action provocatrice aurait pu être évitée si une solution proposée par Avenir Suisse était déjà en vigueur : le référendum obligatoire pour la législation d’exécution d’une initiative acceptée.

Initiatives acceptées en votation : la polémique sur l’exécution est systématique

Au-delà de la saga des initiatives pour le renvoi des criminels étrangers, c’est devenu une constante de la politique suisse que les auteurs d’une initiative populaire acceptée en votation (9 initiatives acceptées depuis 2004) se déclarent déçus, voire trahis, par la loi de mise en œuvre de « leur » initiative. Ainsi, notamment:

Mise en œuvre d’une initiative populaire : insatisfaction programmée

L’insatisfaction postérieure à une initiative acceptée n’est pas étonnante. Tout d’abord, toute règle constitutionnelle doit être interprétée, et il existe forcément plusieurs méthodes d’interprétation. Une fois acceptée, l’initiative n’appartient plus à ses auteurs, mais devient une norme valable pour tous les citoyens suisses. Chacun a donc le droit d’avoir son opinion sur la question.

Mais le casse-tête de l’exécution des initiatives acceptées est inhérent à la structure même du droit d’initiative, qui contient ses propres contradictions. En effet, le droit d’initiative est par essence un droit populaire anti-gouvernemental et antiparlementaire : c’est pour voter sur des sujets considérés comme négligés par le Parlement que l’initiative est la plus utile. Pourtant, c’est le Parlement fédéral qui doit mettre en œuvre les initiatives acceptées, alors qu’il les a généralement combattues pendant la campagne de votation. De plus, c’est ce même Parlement qui décide de la validité juridique préalable d’une initiative et donne un mot d’ordre politique sur l’initiative avant la votation (négatif, dans neuf cas sur dix). Les conflits d’intérêts sont permanents.

Quels sont les moyens à disposition des auteurs d’initiatives déçus ?

Les moyens à disposition des auteurs d’initiatives acceptées mécontents de l’exécution de celles-ci sont aujourd’hui insatisfaisants :

  • l’interdiction du contrôle de constitutionnalité des lois fédérales ( 190 Cst) ne permet pas de faire constater par un tribunal l’éventuelle non-conformité à la Constitution (donc au texte de l’initiative acceptée) de la législation d’exécution ;
  • les initiants peuvent organiser un référendum contre la loi d’application de « leur » initiative (devenue entretemps une disposition constitutionnelle du peuple suisse tout entier) en recueillant 50’000 signatures ; l’effort est lourd, et ne devrait pas devoir être exigé des « vainqueurs » de la votation initiale.

Avec l’initiative de « mise en œuvre », l’UDC a lancé un processus encore plus agressif, traduisant une profonde méfiance envers le Parlement et les tribunaux. L’initiative d’exécution est une forme de « coup de gueule » institutionnel tentant de prévenir à l’avance toute interprétation ultérieure qui serait considérée comme non-conforme au texte strict de l’initiative. Evidemment, un tel processus est encore plus lourd qu’un référendum, puisqu’il a fallu récolter à nouveau 100’000 signatures. Quasiment impossible pour un comité d’initiative citoyen, mais possible pour l’UDC, « machine politique » efficace et riche : on est bien loin de l’idéal des droits populaires, à portée de tous les citoyens.

La solution : le référendum obligatoire pour la législation d’exécution d’une initiative populaire acceptée en votation

La mise en œuvre des initiatives populaires acceptées est donc devenue un casse-tête politique et institutionnel. Alors que le débat devrait être définitivement clos avec la votation, l’acceptation d’une initiative populaire en votation marque à chaque fois le début d’une nouvelle controverse, enflammée et partisane, sur sa mise en oeuvre.

Il existe pourtant un remède assez simple, déjà bien connu dans le système politique suisse, et proposé par Avenir Suisse dans son étude récente (avril 2014) sur « L’initiative populaire –Réformer l’indispensable trublion de la politique fédéral ». Il consiste à soumettre au référendum obligatoire chaque législation de mise en œuvre d’une initiative populaire acceptée en votation.

Le référendum n’aurait pas à être demandé, mais serait donc systématiquement organisé. Les auteurs de l’initiative, comme tous les autres citoyens, pourraient se prononcer sur le projet de loi. S ‘ils estiment que le projet ne respecte pas assez bien le texte ou l’esprit de l’initiative acceptée (devenue norme constitutionnelle), ils pourraient faire campagne pour son rejet. Le Parlement pourrait se concentrer sur son rôle de législateur, en usant de sa marge de manœuvre pour proposer des solutions pratiques ou concrètes aux problèmes d’application qui subsisteraient ou se seraient révélés après l’acceptation de l’initiative. Le référendum obligatoire marquerait la fin des jeux tactiques ou de menaces de référendum, puisque le résultat des travaux parlementaires serait dans tous les cas soumis au vote du peuple.

Que veut “vraiment” le peuple ? Demandons-le lui

Et si jamais la loi d’application devait – selon certains – s’écarter de la norme constitutionnelle, quoi de plus démocratique et de plus suisse que de faire valider cet « écart » par le peuple en votation ? De stériles discussions sur le « respect de la volonté populaire » seraient ainsi évitées, puisque c’est le peuple qui déciderait par lui-même comment il souhaite faire appliquer les initiatives populaires qu’il a déjà accepté, en votation, de faire entrer dans la Constitution fédérale.

Tibère Adler

Tibère Adler est directeur romand du think tank libéral Avenir Suisse depuis 2014. Il a une double formation en droit (master, brevet d'avocat) et en business (EMBA, IMD).

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