L’Hebdo, fin d’une belle aventure entrepreneuriale

Le journalisme a besoin d’entrepreneurs, pas de subventions

L’Hebdo, dont l’éditeur vient d’annoncer la prochaine fermeture, a été l’une des aventures éditoriales entrepreneuriales – et pas seulement journalistiques – les plus marquantes des dernières décennies en Suisse.

Un média marquant son époque

Les grands médias d’opinions naissent souvent à la charnière de grandes périodes historiques. Ils sont les marqueurs de leur temps lorsqu’ils parviennent à refléter sous une forme fraîche les profonds changements de l’humeur collective, de l’évolution sociétale et de l’environnement politique. Le Monde (France) est une création de l’après-2e Guerre mondiale ; El Pais (Espagne) est né juste après la chute du franquisme ; Gazeta Wyborcza (Pologne) est un enfant de Solidarnosc et de la fin du communisme en Pologne.

A son échelle, L’Hebdo a su capter l’air du temps des années 1980 et se créer un territoire propre, loin d’être acquis à l’avance. Fondé en 1981 par Jacques Pilet et son équipe, le « news magazine » a su en son temps innover à de multiples niveaux : mise en valeur du journalisme d’investigation ; reflet d’opinions engagées, au ton libre et parfois insolent, bousculant une presse régionale souvent conservatrice; incarnation d’une Suisse désireuse d’Europe a une époque où cette dernière suscitait encore des passions positives. Mais ces temps sont révolus, et il est difficile pour un média de survivre et de s’adapter à l’époque qui a légitimé sa genèse.

Quand le journalisme s’alliait à l’esprit d’entreprise

Au-delà de ses mérites journalistiques, le lancement de l’Hebdo était aussi une performance entrepreneuriale. Un projet parallèle « Die Woche », lancé simultanément sur le marché alémanique, avait rapidement échoué, alors que l’Hebdo faisait son trou sur le petit marché helvétique francophone. C‘était largement dû à la belle énergie du fondateur et de son équipe, bien soutenus par l’éditeur Ringier, alors plus audacieux qu’aujourd’hui. Même l’échec du projet parallèle alémanique ne fut pas perdu pour tout le monde, puisque son promoteur Hanspeter Lebrument devint ensuite le principal éditeur-propriétaire privé des médias des Grisons (groupe Somedia). L’esprit d’entreprise avait soutenu le journalisme.

Un tel élan ne s’est ensuite retrouvé en Suisse romande qu’avec la création du Temps en 1998, avec Eric Hoesli (un ancien de l’Hebdo) à la baguette. Déjà, les temps avaient changé. Le Temps incarnait désormais un journalisme plus « tenu » ; il défendait les valeurs libérales et humanistes traditionnelles, ainsi qu’une Suisse romande pragmatique, urbanisée et ouverte au monde. Issu de la disparition conjointe du « Journal de Genève » et du « Nouveau Quotidien », Le Temps intégrait aussi d’emblée la notion de maîtrise des coûts pour survivre sur le marché des médias.

La mort du désir de journalisme et la lassitude de l’éditeur

L’Hebdo, en tant qu’entreprise éditoriale, aura su vivre plus de 35 ans. Son propriétaire actuel (Ringier Axel Springer) a décidé de cesser en février 2017 la publication du magazine, avançant que celui-ci n’avait plus été rentable depuis 2002. La raison générale évoquée est le déclin constant du modèle d’affaires traditionnel de la presse, à savoir commercialiser (on dit «monétiser » dans le monde numérique) auprès des publicitaires une audience (si possible payante) de lecteurs et internautes. D’autres facteurs plus spécifiques expliquent aussi la disparition de l ‘Hebdo : baisse constante des moyens alloués au contenu rédactionnel, positionnement généraliste assez large, faible valeur d’usage professionnelle (les lecteurs ne peuvent pas faire payer le média par leur employeur), cible publicitaire trop floue pour les annonceurs tous canaux confondus. Mais l’argument le plus décisif pour la fin de l’Hebdo est la mort du désir d’éditer et de l’envie d’innovation journalistique. Le propriétaire de L’Hebdo ne croit plus en son avenir, et n’a plus la volonté de lutter pour son maintien, même en d’autres mains.

Malgré tout, dans ce contexte, la décision d’arrêter la publication est peut-être plus lucide que les constantes réductions d’effectifs et baisses de budget rédactionnel pratiquées pour d’autres médias, notamment dans la presse régionale genevoise et vaudoise. Une telle stratégie de contraction continue semble sans issue: par quel miracle poser un garrot toujours plus serré sur les ressources rédactionnelles pourrait-il permettre à un média de renverser la tendance et provoquer une hausse de ses revenus, que ce soit en termes de ventes aux lecteurs ou de publicité ? « Lieber ein Ende mit Schrecken als ein Schrecken ohne Ende », dit un dicton allemand (« Mieux vaut une fin dans la terreur qu’une terreur sans fin »). Quelque part, l’éditeur de l’Hebdo a choisi de mettre cet adage en application.

La destruction créative, pour le journalisme aussi

Dans les forêts, la chute des plus grands arbres entraîne évidemment des dégâts collatéraux importants, mais c’est sur les souches de géants abattus que renaissent les plantes de l’avenir. L’économie, avec son cycle de « destruction créatrice » (Schumpeter) est à l’image de ce cycle biologique. Faire tenir debout des organismes presque morts à l’aide de tuteurs (ou de subventions) ne les rend ni plus sains, ni plus dynamiques ; et cela empêche la nécessaire régénération que d’autres organismes nouveaux, petits mais en pleine croissance, pourra assurer.

Le journalisme a besoin d’entrepreneurs

Il en va de même pour le journalisme. Plus que jamais nécessaire en ce 21e siècle de numérisation, réseaux sociaux, « fake news » et avalanche d’opinions, le journalisme doit cesser de quémander des ressources à ses propriétaires actuels, ou des subventions à l’Etat, pour continuer à faire plus ou moins bien ce qu’il faisait déjà auparavant. Les journalistes les plus motivés par cette évolution doivent eux-mêmes devenir entrepreneurs, ou alors – comme l’a fait l’Hebdo à sa création en 1981 – convaincre des investisseurs motivés, plaçant le journalisme au centre de leurs préoccupations, à soutenir leur activité.

Une chance historique pour de nouveaux projets éditoriaux

La chance est historique, en ce sens que l’époque contient les germes d’une évolution que de nouveaux projets médiatiques devraient savoir capter. Le numérique est au cœur de tout, chaque citoyen dispose désormais des moyens de s’exprimer et de s’informer, les recettes politiques traditionnelles semblent s’essouffler, la démocratie a besoin d’élans participatifs, les frustrations et les incertitudes rongent les sociétés occidentales (même en Suisse, pourtant si prospère encore), les solutions simplistes captivent avant de décevoir, la boulimie normative et la sur-réglementation entravent l’innovation et découragent la prise de risques, la globalisation se poursuivra malgré la résurgence des sentiments nationalistes et l’Asie prend un essor irrésistible. C’est un terreau rêvé pour de nouvelles aventures entrepreneuriales éditoriales et journalistiques.

Les animaux et la RBI, un conte de Jean de la Faribolette

Raconte-moi une histoire, dit la femme. D’accord, dit le vieil homme.

Un jour, les animaux se rassemblèrent.Reserve Bank of India

Je ne veux plus chasser, dit la lionne.

Je ne veux plus devoir attendre que la lionne ait chassé, dit le lion.

Je ne veux plus avoir peur des lions, dit l’antilope.

Je ne veux plus courir pour ne pas être mangé, dit le zèbre.

Je ne veux plus avoir à manger d’autres animaux pour vivre, dit le tigre.

Je ne veux plus avoir à me cacher dans le corail, dit le poisson-clown.

Je ne veux plus trembler pour mon poisson-clown, dit l’anémone de mer.

Je ne veux plus courir les charognes, dit le vautour.

Je ne veux plus faire la migration, dit l’oie sauvage.

Ni moi non plus, dit la baleine à bosses.

C’est pas une vie, soupirèrent les plus nombreux.

Vous êtes esclaves de votre quotidien, dit l’un des consultants mandatés par les organiseurs de l’assemblée.

Si vous étiez tous rentiers, vous ne seriez plus esclaves, dit un autre.

Il y a assez de millet sur cette planète pour tout le monde, déclara un troisième.

Il suffit d’en donner gratuitement un peu à chacun tous les jours, et chacun sera libre de faire ce qui lui plaît, résuma le consultant-chef. C’est la RBI – la Ration de Base Inconditionnelle.

Vive la Ration de Base Inconditionnelle! , entonnèrent les hyènes, les rats, les rémoras et les pluviers, qui avaient convoqué l’assemblée.

Le concept de RBI va changer le monde ! claironnèrent les pies et les moutons, en charge de la couverture média de l’assemblée.

Ni prédateurs, ni proies ! scanda la foule. Nous voulons une chaîne alimentaire à visage humain !

Le discours plut. On vota. La RBI fut décidée. Les consultants furent mandatés pour l‘exécution. La RBI devait être mise en œuvre dans les trois ans dès la votation, sous peine de remplacer le millet par du liseron.

Ainsi fut fait.

Chacun recevrait donc dix poignées de millet par jour, tous les matins.

Grand, petit, jeune vieux, terrestre, aérien ou marin, mammifère ou céphalopode, ornithorynque ou kakapo : chacun la même ration. Pour le reste, que chaque animal fasse ce qui lui chante.

Chacun reçut donc sa pitance quotidienne : dix poignées de millet.

Après quelque temps, l’humeur changea.

La lionne dit : je n’aime pas le millet, donc je chasse.

Le lion dit : je n’aime pas le millet. Je divorce de la lionne.

L’antilope dit : je n’aime pas le millet mais je n’ose plus brouter plus la savane, la lionne chasse encore.

Le zèbre dit : j’ai échangé à l’antilope mon millet contre un bout de savane, mais la lionne chasse encore. Il ne me reste ni millet, ni herbage.

J’ai toujours faim, dit l’éléphant. Dix poignées de millet ? Il en faudrait mille.

Du millet, pourquoi pas ? je mange tout ce que je trouve, dit le labrador.

J’ai fait fortune, dit le mulot. Une poignée me suffit, et j’investis les neuf autres.

J’ai fait fortune, dit le corbeau. Mes recettes de cuisine au millet s’arrachent ; avec l’argent, je m’achète la meilleure viande chez le meilleur boucher, car je n’ai plus le temps de chasser.

Je meurs de faim, ainsi que ma famille, dit le lapin. Les renards font du racket. Soit nous mangeons dans la crainte d’être mangés, soit nous donnons nos rations pour assurer notre sécurité.

La RBI était, mais l’humeur devenait toujours plus maussade.

C’est pire qu’avant, dirent les castors.

Tout devait changer, tout a changé, et pourtant rien n’a changé, dirent les hiboux.

C’est bien normal : « Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi ! », dit le Guépard en italien. Il faut que tout change pour que rien ne change. Tout ceci n’était qu’illusion.

Ça craint, résuma le glouton.

Ainsi continua la vie, cahin-caha, jusqu’à la Grande Sécheresse.

La distribution du millet s’arrêta subitement. Epuisée, asséchée, la Terre abandonna. Plus rien ne poussait.

Les animaux se rassemblèrent à nouveau. Ils convoquèrent les consultants.

Le RBI devait nous libérer !, dirent-ils. Mais le millet nous a asservis, jusqu’à nous faire défaut.

Vous avez forcé sur la monoculture, dit le Premier consultant.

Notre concept était bon, mais vous avez raté l’exécution, dit le Deuxième Consultant.

Nous avons une solution pour vous, si vous nous mandatez, dit le Troisième Consultant.

Il suffit de rompre toutes les digues et les barrages, et la Terre sera à nouveau irriguée, résuma le Consultant en chef.

Ainsi fut fait.

Le résultat fut désastreux. La Terre se noya, et avec elle, la RBI et la plupart des animaux. Les survivants vinrent me voir.

Ni rentiers, ni esclaves, dirent-ils. Nous voulons vivre libres, même au prix de grands efforts. Aide-nous.

Peu après, les animaux montèrent dans l’Arche, deux par deux.

Tu connais la suite, dit le vieil homme.

Tu es un merveilleux conteur, dit la femme. Merci Noé.

Pour une réforme de l’initiative populaire

Réformer l’indispensable trublion de la politique suisse

L’initiative populaire est consubstantielle à l’identité politique suisse. Depuis 1891, date de son introduction dans la Constitution fédérale, plus de 200 initiatives ont été soumises en votations et 22 d’entre elles ont été acceptées.

Huit raisons pour des changements
• Le monde a profondément changé depuis 1891. La population a massivement augmenté. La Suisse s’est ouverte à la globalisation. La révolution du numérique est en marche.
• Le nombre d’initiatives qui aboutissent ne cesse d’augmenter, vampirisant l’agenda politique. Mais la quantité n’est pas gage de qualité du débat démocratique. Ce problème quantitatif deviendra encore plus aigu lorsque la technologie permettra de collecter des signatures de soutien par voie électronique, comme des « like » sur les réseaux sociaux.
• Les initiatives acceptées en votation (9 depuis 2004) donnent systématiquement lieu à de fortes controverses dans leur exécution. Après la votation positive, c’est à chaque fois un nouveau débat politique qui commence, souvent dans la plus grande confusion. La répétition de ce processus démontre qu’une initiative populaire, même acceptée, doit presque toujours faire encore l’objet d’une interprétation de détail.
• L’initiative populaire est largement instrumentalisée par certains partis politiques représentés au Conseil fédéral. Elle devient un outil de marketing politique dédié à la mobilisation électorale, toujours plus fondé sur l’émotionnel que sur la recherche de solutions concrètes.
• L’initiative ne peut que modifier la Constitution. Celle-ci est donc encombrée de dispositions objectivement secondaires, défendant des causes spécifiques et des intérêts particuliers.
• Le contrôle préalable des initiatives populaires (unité de la matière, respect du droit international impératif) est confié au Parlement fédéral, après le dépôt des signatures. Ce contrôle est laxiste : en 125 ans, le Parlement n’a invalidé que quatre initiatives.
• Le seuil de signatures requis pour faire aboutir une initiative populaire est devenu trop faible. Les 50’000 signatures de 1891 représentaient presque 8% du corps électoral de l’époque. Les 100’000 signatures actuelles (décidées en 1978, après l’octroi du droit de vote aux femmes) ne représentent plus que 1,7% de l’ensemble des votants.
• La « cohabitation » entre initiative populaire et droit international est parfois laborieuse. Certaines initiatives visent (explicitement ou sournoisement) à remettre en question des engagements internationaux déjà souscrits par la Suisse, ce qui crée des situations inédites d’incertitude institutionnelle.

Les votants et les partis sont les premiers garants de l’initiative populaire

La meilleure forme de protection de l’initiative populaire viendra des votants eux-mêmes, en rejetant les propositions qui dénaturent l’esprit de l’institution. On pourrait aussi espérer des partis représentés au Conseil fédéral une plus grande retenue dans le lancement de nouvelles initiatives. Toutefois, ceci ne suffira pas. Avenir Suisse a formulé des propositions de réforme dans son étude de 2015 «L’initiative populaire».

Sur le fond: ne pas limiter le contenu possible des initiatives

Sur le fond, le contenu possible des initiatives doit rester aussi ouvert que possible ; seule l’interdiction de la rétroactivité pourrait être ajoutée aux conditions de validité actuelles. Car c’est la nature même de l’institution que de faire des propositions de changement de l’existant, même provocatrices.

Sur la forme: canaliser la procédure

En revanche, sur la forme, de nombreuses réformes sont souhaitables, notamment:
– Confier le contrôle de validité des initiatives à un autre organe que le Parlement (s Chancellerie ou commission ad hoc) avant la récolte des signatures ;
– Augmenter le nombre de signatures requises pour l’initiative constitutionnelle à 4% du corps électoral (soit un peu plus de 210’000 signatures en 2016);
– Permettre l’initiative législative au niveau fédéral (elle existe déjà dans tous les cantons), soutenue par 2% des votants (environ 105’000 signatures);
– Organiser un référendum obligatoire pour la législation d’exécution d’une initiative acceptée. Le peuple aurait ainsi non seulement le premier mot, mais aussi le dernier.
– Limiter le vote à une seule initiative constitutionnelle par bloc de votations. Ceci calmerait le jeu, et garantirait à chaque initiative l’attention démocratique qu’elle mérite.

Voter explicitement quand un traité international est en jeu
Enfin, la proposition de foraus exigeant d’une initiative qu’elle pose explicitement et séparément la question de la résiliation d’engagements internationaux en cours, et qui seraient contraires au but de l’initiative, mérite d’être soutenue.

Votations fédérales du 28 février 2016: beaucoup de bruit pour rien !

Les votations fédérales accouchent de souris (et d’un tunnel)

Sur la forme, pour l’atmosphère, la campagne politique a pu paraître vigoureuse et enflammée, donc réjouissante. Mais en substance, les votations fédérales ont accouché de souris (et d’un tunnel). La décision du Gothard est ancrée dans le passé, et les décisions de rejets ne font rien progresser. Il serait temps de voter sur des questions décisives pour l’avenir du pays.

Le passé rénové: et un tunnel supplémentaire, un !

Le projet du Gothard ne convainquait pas vraiment, même ceux qui l’ont soutenu, mais l’absence d’alternatives crédibles a suffi pour l’emporter. Il se dégage un parfum de poussière dans cette votation, fortement ancrée dans le passé.  A l’heure de la révolution digitale du 21e siècle, un tsumami technologique et social dont la Suisse n’a pas encore pris la pleine mesure, les esprits se sont échauffés sur la meilleure manière de rénover un tunnel déjà existant, dont le potentiel d’innovation – sensationnel au 19e siècle – est tombé à zéro. On a parlé nuisance, sécurité, ferroutage, milliards, en esquivant le vrai débat : celui de l’adaptation de nos infrastructures de transports à une Suisse galopant vers les 10 millions d’habitants. Au final, le deuxième tube sera construit. C’est une expression presque insolente de notre richesse et de notre prospérité. Heureux pays qui peut dépenser près de CHF 3 milliards et payer à 100% une infrastructure (le 2e tube) en annonçant ne vouloir l’utiliser qu’à 50% (en limitant la circulation à une seule voie). Le bon sens et la pression des circonstances se chargeront de corriger tôt ou tard cette luxueuse aberration.

Le passé (presque) corrigé : 30 ans d’inégalités

La très courte majorité favorable au rejet l’initiative” pour les couples mariés” est une surprise, car le PDC, seul contre tous pour la défendre, n’est pas un parti politique réputé pour son habileté tactique avec les droits populaires. Sur le fond, les discriminations fiscales bien réelles dénoncées par l’initiative pour certains couples mariés ne seront pas corrigées. Voici plus de 30 ans que le Tribunal fédéral a indiqué le chemin d’une évolution législative (fin de la pénalisation fiscale des couples mariés) que le Parlement n’a jamais effectué: la sanction a failli tomber. En tout état de cause, c’était un vote fondé sur le passé, et non porteur d’avenir.

La votation inutile : le faux problème (initiative de mise en oeuvre)

Exemple parfait de vote inutile sur le fond : quel que soit le résultat, il était acquis que les règles d’expulsion des étrangers délinquants seraient renforcées (soit par la loi d’exécution de la première initiative « sur le renvoi » de 2010, soit par l’initiative « de mise en œuvre »). Dans la réalité du terrain, il est aussi acquis qu’émettre de nouvelles règles ne changera de toute façon pas grand chose : les cantons actuellement rigoureux (dont Genève) continueront à pratiquer les expulsions ; les cantons laxistes le resteront ; et la quasi-impossibilité de renvoyer des délinquants étrangers vers leur pays d’origine si celui-ci refuse de les reprendre subsistera.

L’initiative de mise en œuvre était surtout un défi aux institutions suisses, ainsi qu’une tentative de tester les limites du droit d’initiative. Ce défi a été rejeté. Les politologues et journalistes se réjouiront peut-être de l’intensité émotionnelle de la campagne, qui pourrait tactiquement marquer un tournant dans le style politique suisse. Il ne faut peut-être pas s’en réjouir trop vite, tant l’exemple de l’initiative de mise en œuvre était l’illustration d’une démocratie directe s’époumonant à débattre d’un objet abstrait et provocateur, ne répondant pas du tout à une véritable préoccupation concrète et pratique.

La votation inutile (bis): les fausses solutions (initiative anti-spéculation)

Enfin, l’initiative anti-spéculation des Jeunes Socialistes avait le mérite de démontrer que notre système politique permet de porter n’importe quel thème jusqu’à la votation populaire. La Suisse peut être fière de cette ouverture d’esprit. En revanche, proposer de résoudre un problème mondial (la faim, la pauvreté dans le monde agricole des pays émergents) avec des mesure locales helvétiques relève de la symbolique sans efficience. Les votants ne s’y sont pas trompés.

A quand des votations sur des sujets réellement stratégiques pour la Suisse ?

La Suisse est fière à juste titre de ses droits populaires étendus, permettant à ses citoyens de s’exprimer sur tous les sujets. Pourtant, l’instrumentalisation croissante des initiatives populaires par les partis politiques, pour des thèmes spécifiques et particuliers qui leur servent de marketing électoral, fait souci. Le génie politique suisse, s’il existe, s’exprime dans la capacité à trouver des solutions à des problèmes concrets, souvent lentement et sans grande vision, mais avec une remarquable compétence d’apprentissage collectif et un vrai talent de mise en place de solutions concrètes praticables. Débattre avec flamme de problèmes abstraits, objectivement secondaires pour l’avenir du pays, nous éloigne des racines de notre identité politique.

Il est temps que les votations fédérales portent à nouveau sur des sujets essentiels : à quand la votation sur la stabilisation (ou non) de nos relations avec l’Union Européenne, notamment quant à la libre circulation des personnes ? Quand le peuple pourra-t-il (enfin) se prononcer sur la stratégie énergétique prévoyant la sortie du nucléaire ?

 

 

Citoyens et contribuables en Suisse : l’écart s’agrandit

Les résidents étrangers paient des impôts mais ne peuvent que rarement être élus

Dans six cantons, les étrangers sont autorisés à exercer des fonctions politiques au niveau communal : voter, élire, être élu. C’est possible à Fribourg, Vaud, Neuchâtel et Jura, ainsi que dans les communes des Grisons et d’Appenzell Rhodes-Extérieures qui l’ont elles-mêmes décidé (cf. mon blog sur le sujet). Cette situation reste une exception en Suisse.

La nationalité suisse est la condition  de l’accès aux droits politiquespasseport suisse

Le plus souvent, le passeport suisse est considéré comme une condition indispensable à l’accès aux droits politiques. Les conditions de l’accès à la nationalité suisses sont sévères (notamment la durée obligatoire de domiciliation), comparées à d’autres pays. Pourtant, la population résidente suisse est composée plus de 25% par des étrangers, qui y travaillent, paient des impôts et sont soumis aux lois du pays. Dans une approche libérale, ceux qui contribuent au financement de l’Etat devraient avoir un mot à dire sur sa gestion (« no taxation without representation »). La conception de citoyenneté étant une décision politique, variable selon l’époque et les circonstances, il est temps de songer sérieusement à mieux intégrer les étrangers résidents, notamment en leur conférant des droits politiques.

Les droits politiques liés au passeport suisse? Il n’en a pas toujours été ainsi
Pourtant, l’humeur politique suisse est actuellement peu favorable à l’octroi de droits politiques à des étrangers. Dans les votations cantonales ayant  pour objet l’octroi de droits politiques aux étrangers (une trentaine dans les cantons ces dernières décennies), une large majorité  – surtout en Suisse alémanique – se dégage généralement pour refuser la proposition (dans les six cantons qui font exception, la mesure a passé dans le cadre d’une révision complète de la Constitution cantonale, donc un peu “noyée” dans l’ensemble). La possession du passeport suisse est encore considérée comme le sésame absolu, la condition préalable indispensable pour élire et être élu.   La question est légitime : si un étranger veut exercer des droits politiques en Suisse, pourquoi ne se naturalise-t-il pas ?

Pourtant, la citoyenneté formelle n’est pas toujours liée à la nationalité. Ainsi, les cantons suisses du 19e siècle n’accordaient pas le droit de vote cantonal à des ressortissants Suisse provenant d’autres cantons : un Zurichois établi à Genève ne pouvait pas y voter. Plus spectaculaire encore (et parfaitement incompréhensible aujourd’hui) : les femmes suisses, bien que de nationalité suisse depuis toujours, ont dû attendre 1971 pour avoir le droit de vote au niveau fédéral.

La définition formelle de la citoyenneté, un outil au service des Etatsciceron-verres
Dans l’Antiquité, l’Empire romain avait fait de la citoyenneté romaine (et des droits qui y étaient attachés) l’arme absolue pour l’intégration des nombreux peuples et populations objets de ses conquêtes. Dans sa célèbre plaidoirie « In Verrem » (- 70 av. J.-C.), Cicéron dénonce les crimes de Verrès, propréteur de Sicile, l’un des plus graves étant d’avoir fait crucifier un citoyen romain, en violation de ses droits.

La définition formelle de la citoyenneté par l’octroi des droits politiques est donc un outil au service des Etats, dont les critères peuvent changer selon les circonstances et l’époque.

 

Etrangers en Suisse et Suisses de l’étranger

Selon l’OFS, la Suisse comptait fin 2014 près de 2 millions de étrangers au sein de sa population résidente (soit un taux de 24,3 % sur une population totale de 8,24 millions). Pour leur immense majorité, ces étrangers paient des impôts et ne votent pas en Suisse.Dans le même temps, le nombre de Suisses établis à l’étranger ne cesse de croître : à fin 2014, l’OFS en recensait 746’900, en constante augmentation. Pour leur plus grande part, ces Suisses de l’étranger ne paient pas d’impôt dans leur pays de nationalité, mais peuvent y exercer leurs droits politiques.
A Genève, la Tribune de Genève relevait récemment que près de 34% des ménages imposables du canton étaient exonérés d’impôts (mais la proportion de Suisses et d’étrangers parmi eux n’est pas précisée). C’est le plus fort taux de résidents non contribuables pour un canton suisse.

L’écart entre contribuables et citoyens ne cesse d’augmenter
Ces exemples montrent que l’écart entre les contribuables et les citoyens ne cesse d’augmenter en Suisse. Une part croissante de contribuables effectifs (payant des impôts) n’a pas de droits politiques ; une part croissante de citoyens au sens formel (titulaires du passeport suisse, avec le droit d’exercer des droits politiques) ne paie pas d’impôts. Ce déséquilibre n’est pas sain.

La constante évolution du phénomène posera au fil du temps des questions importantes de (manque de) légitimité démocratique. Comment vivre sereinement dans une communauté dont une partie grandissante paie sans pouvoir voter, alors qu’une autre (également en augmentation) vote sans rien payer ?

Il est donc temps de réfléchir à des solutions permettant de réduire ce grand écart entre contribuables et citoyens. L’octroi élargi de droits politiques à des étrangers résidents dans les communes suisses, tel que recommandé par Avenir Suisse dans son étude “Pour la participation politique des étrangers au niveau local” (2015). est un bon début

Elections communales: les étrangers peuvent être élus dans six cantons

2015-09_as_eligibilite-etrangers_Cover_250pxElections communales : les étrangers sont éligibles dans six cantons
Le premier tour des élections communales aura lieu le 28 février 2016 dans les cantons de Vaud et de Fribourg. Particularité pour ces deux cantons : les étrangers résidents de longue durée peuvent se porter candidats, élire et être élus dans leur commune de domicile. Vaud et Fribourg sont deux des six cantons suisses qui octroient des droits politiques aux étrangers au niveau communal (en plus de Neuchâtel, Jura, Grisons et Appenzell Rhodes-Extérieures). Genève permet aux étrangers résidents de voter et d’élire, mais pas (encore) celui d’être élus.

Sur ce sujet, le « Röstigraben » est évident. Les droits politiques des étrangers existent principalement en Suisse romande (sauf le Valais), alors que les cantons alémaniques en refusent systématiquement le principe (une vingtaine de votations cantonales rejetées ces dernières décennies). Seuls des cantons particulièrement fédéralistes comme les Grisons et Appenzell Rhodes-Extérieures font exception, en conférant à leurs propres communes le droit de décider sur ce point.

Elire des étrangers dans les communes, une solution pragmatique et appréciée
Toutefois, même là où elle autorisée, l’élection effective d’étrangers dans les communes reste quantitativement modeste. Dans son étude “Pour la participation politique des étrangers au niveau local” (2015), Avenir Suisse recensait quelques dizaines de conseillers exécutifs de nationalité étrangère dans les communes suisses (et quelques centaines dans les parlements municipaux). Pas de quoi révolutionner le système de milice politique au niveau local. Mais pas de quoi inquiéter non plus : le fait que des étrangers siègent dans les communes ne pose aucun problème, et aucun des cantons leur ayant accordé des droits politiques n’envisage un retour en arrière.

La solution permet à des étrangers résidents de s’engager activement pour la communauté, sans avoir à attendre l’écoulement des longs délais pour la naturalisation. Pourquoi se priver de ces énergies et compétences quand les candidats aux fonctions de milice politique manquent si souvent ?

Indice de liberté d’Avenir Suisse: jouons avec le professeur Grin !

Dans une opinion publiée dans Le Temps, le professeur François Grin critique l’indice de liberté d’Avenir Suisse. Il conteste que Genève soit le canton le moins libre de Suisse, comme le présente Avenir Suisse. En pondérant les critères de l’Indice selon ses propres valeurs, le prof. Grin fait remonter Genève dans le milieu du classement.

Cette divergence est un beau succès pour l’Indice de liberté, dont l’objectif premier est une invitation, modérément provoquante, à la réflexion sur la liberté (sans prétendre à une inatteignable prétention scientifique). Le prof. Grin a donc eu parfaitement raison de jouer avec les critères de l’Indice et d’établir son propre classement personnel.

Qu’est-ce que l’Indice de liberté d’Avenir Suisse ?

Avenir Suisse a publié récemment son Indice de liberté annuel comparant les libertés civiles et économiques dans les différents cantons suisses. En tant que pays, la Suisse jouit d’un niveau de liberté élevé, en comparaison internationale. Cependant, dans un Etat pratiquant le fédéralisme avec ardeur, les cantons peuvent aussi, dans leurs domaines de compétences, adopter des positions qui stimulent ou restreignent les libertés. Le but de l’Indice est d’illustrer ces différences cantonales et leur évolution depuis 2007.

Les critères de l’Indice doivent être comparables et mesurables

Les critères utilisés dans l’Indice sont clairement décrits et documentés. Toutefois, le choix des critères est limité par la nature même de l’exercice. Ainsi, l’Indice ne contient que des critères mesurés et disponibles, de façon comparable, dans chacun des 26 cantons suisses. Des critères plus subjectifs ou qualitatifs, par exemple la dimension culturelle ou sociale du canton analysé, ne sont donc pas utilisés.

Comme la liberté est une notion éminemment subjective, l’Indice a été principalement conçu comme un outil en ligne, dont l’observateur peut faire varier les paramètres. Chacun peut se référer à ses propres valeurs et intuitions pour définir la combinaison de critères qui lui semble la plus pertinente. La liberté vit du débat, et chacun peut en faire sa propre définition.

Les critères de l’Indice sont relatifs, et pas absolus

Par exemple, le critère « Protection des non-fumeurs » ne conteste pas la nécessité d’une réglementation de santé publique (souhaitable) en la matière. Il mesure l’ampleur des restrictions additionnelles à la loi fédérale sur la protection contre le tabagisme passif, que certains cantons ont cru nécessaire d’imposer. Par exemple, une interdiction cantonale de servir les clients dans des fumoirs privatifs (même si le personnel de service y consent explicitement) est une chicane qui limite la liberté du fumeur, sans pour autant contribuer à la protection du non-fumeur.

Autre exemple : le nombre de radars fixes pour 10’000 véhicules immatriculés. Personne ne soutient que le bonheur, fût-il libéral, consiste en l’absence de radars. Mais de nombreux cantons peuvent se targuer d’une sécurité routière équivalente avec une densité de radars moindre. Le peu glorieux « record » genevois, champion suisse de la densité de radars fixes, s’explique alors aussi par d’autres arguments que la sécurité routière : stéréotype politique négatif envers l’automobiliste ? Attrait pour les revenus faciles des contraventions. ? Même ce critère apparemment simpliste des radars peut servir de tremplin au débat sur la liberté.

Avenir Suisse propose sa conception de la liberté, libérale et responsable

 Les valeurs proposées par Avenir Suisse dans son propre classement sont libérales, en ce sens qu’elles favorisent la liberté de choix des individus, ainsi que leur sens de la responsabilité personnelle. Le poids de l’Etat ou la densité réglementaire ne sont pas systématiquement considérés en soi comme un point négatif. Mais Avenir Suisse s’interroge toujours si, et dans quelle mesure, la finalité de l’action étatique contribue réellement au développement de la liberté des citoyens.

Le professeur Grin a une autre vision. Il semble apprécier la liberté telle que définie et soutenue par l’Etat, à grand renfort de normes diverses. Nos conceptions divergent. Par exemple, il loue la politique d’étatisation massive du marché du logement pratiquée à Genève, alors que, au contraire, Avenir Suisse voit dans les restrictions à la liberté d’investir dans l’immobilier un facteur-clef de la pénurie chronique vécue par le canton depuis des décennies.

La lanterne rouge de Genève reflète le goût du canton pour la réglementation

Au-delà des querelles d’interprétation, la constance de Genève dans la médiocrité (le canton a toujours été dernier à l’Indice de liberté selon Avenir Suisse) devrait quand même inquiéter. Comme pour tout classement de ce genre, l’évolution de la tendance est plus significative que le résultat en soi. Le poids de la dette genevoise restreint drastiquement la liberté du canton pour ses dépenses et investissements, mais aussi la liberté économique des citoyens et entreprises contraints de la financer. Et l’hygiénisme réglementaire semble sévir à Genève plus fortement que dans d’autres cantons, avec des conséquences sociales concrètes. Les récentes polémiques sur l’Usine illustrent parfaitement le malaise ambiant, entre désir de réglementation toujours plus cadrée et besoin d’espaces de respiration moins normés. Quand les soupapes de liberté disparaissent, les frustrations augmentent.

(Ce blog a paru dans la page Opinions de l’édition imprimée du Temps du 13.1.2016)

UDC et “Secondos”: quand les satrapes s’attrapent

L’initiative de “mise en oeuvre” illustre le casse-tête de l’exécution des initiatives acceptées

L’initiative dite « de mise en œuvre » devrait-elle être appliquée aux étrangers nés en Suisse ?

Intéressante polémique ces derniers jours sur la future interprétation de l’application de l’initiative UDC dite « de mise en œuvre », si elle était acceptée en votation le 28 février 2016.

Le professeur Hans-Ueli Vogt, candidat malheureux de l’UDC à la course au Conseil des Etats dans le canton de Zürich, estime que les étrangers dits « secondos » (nés sur le territoire suisse, mais non naturalisés) ne devraient pas être automatiquement expulsés, même si l’initiative « de mise en œuvre » était acceptée. Cette opinion est partagée par plusieurs Conseillers aux Etats affiliés à l’UDC. Pour sa part, le secrétariat général du parti conteste cette interprétation, qu’il qualifie de non–officielle. Et le patriarche de l’UDC Christophe Blocher soutient que l’interprétation de M. Vogt est contraire au texte strict de l’initiative soumise en votation. D’après ce dernier, les « secondos » criminels seraient expulsés comme les autres.

La Suisse, près de 400’000 « secondos »

Selon l’Office fédéral de la statistique (Migration et Intégration – Indicateurs : Population selon le lieu de naissance), il y avait à fin 2014 en Suisse 388’700 personnes de nationalité étrangère nées en Suisse. Ca fait du monde ! Si l’on considère que chacun d’entre eux pourrait être un criminel en puissance, à expulser automatiquement en cas d’infraction, la divergence soulevée par M. Vogt n’est pas anodine.

Même s’il est favorable à l’initiative « de mise en œuvre », le citoyen votant est donc prié de se fier soit à M. Vogt, soit à M. Blocher pour savoir si (et comment) elle sera appliquée aux près de 400’000 étrangers nés et vivant dans notre pays. C’est une bien étrange conception de la prévisibilité des conséquences du vote populaire.

Une controverse utile, qui rappelle que tout texte constitutionnel doit être interprété

Cette controverse interne à l’UDC rappelle utilement qu’un texte constitutionnel doit toujours être interprété, et qu’il existe toujours différentes approches. L’interprétation « authentique » unique n’existe pas.

La sanctification d’une quelconque interprétation qui s’appuyerait sur le paradigme de la « volonté populaire », telle que reflétée par le résultat d’une votation, est un argument essentiellement idéologique, donc sujet à contre-argumentation. Pour cette raison, des débats et discussions parlementaires sains sont nécessaires pour savoir comment appliquer dans le détail une initiative populaire acceptée en votation.

Comment s’y retrouver quand les auteurs d’une initiative se contredisent avant la votation ?

Jusqu’à présent, les controverses portaient sur l’application d’une initiative après qu’elle ait été acceptée en votation. Presque à chaque fois, le comité d’initiative « vainqueur » de la votation se déclare déçu, voire trahi, par la mise en œuvre faite de « son«  initiative.

Désormais, l’UDC innove. En étalant ses contradictions sur la place publique avant même la votation de l’initiative « de mise en œuvre », elle invente la polémique préalable d’application anticipée interne au comité d’initiative. En langage trotskyste, on dirait que des éléments non contrôlés défient le « centralisme démocratique » souhaité par le Parti. Présenter cette diversité comme une preuve de démocratie interne à l’UDC est habile, mais augmente la confusion et les difficultés d’interprétation subséquente (si l’initiative est acceptée). Pour quelle forme d’application de l’initiative les citoyens ont-ils réellement voté ?

En bref: comment les citoyens votants peuvent-ils y voir clair si les initiants ne savent pas eux-mêmes comment concrétiser leur éventuel succès ?

La solution : le référendum obligatoire sur la loi d’application d’une initiative acceptée

Une solution possible et simple a été proposée par Avenir Suisse  dans sa publication sur « L’initiative populaire » (avril 2014): toute législation d’application d’une initiative populaire acceptée devrait faire l’objet d’un référendum obligatoire (cf. mon blog du 5 janvier 2016). Le peuple pourrait ainsi valider lui-même l’interprétation de l’initiative faite dans la loi d’exécution. La question de la légitimité de la « volonté populaire » serait ainsi pleinement résolue : ce que le peuple a accepté (dans l’initiative), il peut le préciser (dans la loi d’application).

 

Une solution au casse-tête des initiatives acceptées : le référendum obligatoire pour la loi d’exécution

L’initiative dite de « mise en oeuvre » aurait été inutile

Le peuple et les cantons suisses se prononceront le 28 février 2016 sur l’initiative populaire « Pour le renvoi effectif des étrangers criminels (Initiative de mise en œuvre)». Au-delà de son contenu et de sa claire volonté de limitation des droits de l’homme, l’initiative « de mise en œuvre » pose un défi inédit à l’institution même de l’initiative populaire.

L’initiative « de mise en œuvre » de 2016 a pour seul but de forcer l’exécution d’une initiative « sur le renvoi » de même contenu, acceptée en votation en 2010. Mécontente de la lenteur de la procédure et du contenu de la loi d’application, l’UDC a lancé et fait aboutir l’initiative « de mise en œuvre », qui veut faire exécuter de manière plus détaillée et contraignante l’initiative « sur le renvoi ». Cette action provocatrice aurait pu être évitée si une solution proposée par Avenir Suisse était déjà en vigueur : le référendum obligatoire pour la législation d’exécution d’une initiative acceptée.

Initiatives acceptées en votation : la polémique sur l’exécution est systématique

Au-delà de la saga des initiatives pour le renvoi des criminels étrangers, c’est devenu une constante de la politique suisse que les auteurs d’une initiative populaire acceptée en votation (9 initiatives acceptées depuis 2004) se déclarent déçus, voire trahis, par la loi de mise en œuvre de « leur » initiative. Ainsi, notamment:

Mise en œuvre d’une initiative populaire : insatisfaction programmée

L’insatisfaction postérieure à une initiative acceptée n’est pas étonnante. Tout d’abord, toute règle constitutionnelle doit être interprétée, et il existe forcément plusieurs méthodes d’interprétation. Une fois acceptée, l’initiative n’appartient plus à ses auteurs, mais devient une norme valable pour tous les citoyens suisses. Chacun a donc le droit d’avoir son opinion sur la question.

Mais le casse-tête de l’exécution des initiatives acceptées est inhérent à la structure même du droit d’initiative, qui contient ses propres contradictions. En effet, le droit d’initiative est par essence un droit populaire anti-gouvernemental et antiparlementaire : c’est pour voter sur des sujets considérés comme négligés par le Parlement que l’initiative est la plus utile. Pourtant, c’est le Parlement fédéral qui doit mettre en œuvre les initiatives acceptées, alors qu’il les a généralement combattues pendant la campagne de votation. De plus, c’est ce même Parlement qui décide de la validité juridique préalable d’une initiative et donne un mot d’ordre politique sur l’initiative avant la votation (négatif, dans neuf cas sur dix). Les conflits d’intérêts sont permanents.

Quels sont les moyens à disposition des auteurs d’initiatives déçus ?

Les moyens à disposition des auteurs d’initiatives acceptées mécontents de l’exécution de celles-ci sont aujourd’hui insatisfaisants :

  • l’interdiction du contrôle de constitutionnalité des lois fédérales ( 190 Cst) ne permet pas de faire constater par un tribunal l’éventuelle non-conformité à la Constitution (donc au texte de l’initiative acceptée) de la législation d’exécution ;
  • les initiants peuvent organiser un référendum contre la loi d’application de « leur » initiative (devenue entretemps une disposition constitutionnelle du peuple suisse tout entier) en recueillant 50’000 signatures ; l’effort est lourd, et ne devrait pas devoir être exigé des « vainqueurs » de la votation initiale.

Avec l’initiative de « mise en œuvre », l’UDC a lancé un processus encore plus agressif, traduisant une profonde méfiance envers le Parlement et les tribunaux. L’initiative d’exécution est une forme de « coup de gueule » institutionnel tentant de prévenir à l’avance toute interprétation ultérieure qui serait considérée comme non-conforme au texte strict de l’initiative. Evidemment, un tel processus est encore plus lourd qu’un référendum, puisqu’il a fallu récolter à nouveau 100’000 signatures. Quasiment impossible pour un comité d’initiative citoyen, mais possible pour l’UDC, « machine politique » efficace et riche : on est bien loin de l’idéal des droits populaires, à portée de tous les citoyens.

La solution : le référendum obligatoire pour la législation d’exécution d’une initiative populaire acceptée en votation

La mise en œuvre des initiatives populaires acceptées est donc devenue un casse-tête politique et institutionnel. Alors que le débat devrait être définitivement clos avec la votation, l’acceptation d’une initiative populaire en votation marque à chaque fois le début d’une nouvelle controverse, enflammée et partisane, sur sa mise en oeuvre.

Il existe pourtant un remède assez simple, déjà bien connu dans le système politique suisse, et proposé par Avenir Suisse dans son étude récente (avril 2014) sur « L’initiative populaire –Réformer l’indispensable trublion de la politique fédéral ». Il consiste à soumettre au référendum obligatoire chaque législation de mise en œuvre d’une initiative populaire acceptée en votation.

Le référendum n’aurait pas à être demandé, mais serait donc systématiquement organisé. Les auteurs de l’initiative, comme tous les autres citoyens, pourraient se prononcer sur le projet de loi. S ‘ils estiment que le projet ne respecte pas assez bien le texte ou l’esprit de l’initiative acceptée (devenue norme constitutionnelle), ils pourraient faire campagne pour son rejet. Le Parlement pourrait se concentrer sur son rôle de législateur, en usant de sa marge de manœuvre pour proposer des solutions pratiques ou concrètes aux problèmes d’application qui subsisteraient ou se seraient révélés après l’acceptation de l’initiative. Le référendum obligatoire marquerait la fin des jeux tactiques ou de menaces de référendum, puisque le résultat des travaux parlementaires serait dans tous les cas soumis au vote du peuple.

Que veut “vraiment” le peuple ? Demandons-le lui

Et si jamais la loi d’application devait – selon certains – s’écarter de la norme constitutionnelle, quoi de plus démocratique et de plus suisse que de faire valider cet « écart » par le peuple en votation ? De stériles discussions sur le « respect de la volonté populaire » seraient ainsi évitées, puisque c’est le peuple qui déciderait par lui-même comment il souhaite faire appliquer les initiatives populaires qu’il a déjà accepté, en votation, de faire entrer dans la Constitution fédérale.

L’impôt sur la fortune décourage l’esprit d’entreprise

Il faut un nouveau pacte fiscal pour les entrepreneurs

Non, la Suisse n’est pas un paradis fiscal pour les entrepreneurs. Le capital et le patrimoine y sont déjà fortement taxés. Dans sa publication Capital et imposition du patrimoine, Marco Salvi, directeur de recherche à Avenir Suisse, estime le taux marginal d’imposition du capital à 57% en Suisse (sur un franc supplémentaire de capital généré, 57 centimes vont économiquement à l’impôt – sur le bénéfice de la société, sur les dividendes aux actionnaires et sur la fortune de ces derniers).

L’imposition personnelle est très lourde pour un entrepreneur actif en Suisse

Avenir Suisse et la CCIG organisaient le 1.12.2015 un séminaire sur le thème de « L’imposition du capital pour les entrepreneurs ». Le constat fiscal est lourd. L’imposition sur la fortune, que la Suisse est l’un des derniers pays à maintenir, est décourageante et contre-productive, car elle alourdit massivement la charge fiscale personnelle des entrepreneurs résidents. Dans un contexte de concurrence fiscale internationale acharnée, ces derniers ont besoin de solutions fiscales ne pénalisant par leur activité et leur motivation de rester actifs à long terme.

C’est une forme de double imposition « au carré » qui pèse sur les véritables entrepreneurs, c’est-à-dire les actionnaires et propriétaires de sociétés eux-mêmes actifs dans leur entreprise. Un élément de patrimoine peut être imposé quatre fois : au niveau de l’entreprise (par l’imposition du bénéfice de la société et celle de son capital), puis au niveau de l’entrepreneur à titre personnel (par l’imposition des dividendes perçus, et par l’imposition de la fortune, dont fait partie la valeur de l’entreprise). S’y ajoute encore l’imposition du revenu (pour le salaire que touche l’entrepreneur).

Le cumul des charges fiscales est tellement lourd qu’il peut arriver qu’un entrepreneur propriétaire soit contraint de payer globalement un montant d’impôt supérieur au cumul de son salaire et de ses dividendes. Le cas sera de moins en moins rare en cette période de taux d’intérêts quasi-nuls, car les rendements de la fortune ne suffisent plus pour générer une « marge » qui permettrait de payer l’impôt sur la fortune.

Les entrepreneurs à succès sont particulièrement pénalisés

Le piège fiscal vaut pour tous les entrepreneurs, grands ou petits, jeunes pousses ou entreprises confirmées. En effet, plus l’entreprise va bien (notamment en réalisant un bénéfice important), plus sa valorisation fiscale va augmenter, alourdissant la facture de l’impôt sur la fortune. Or, cette augmentation de valeur n’est que virtuelle, tant que l’entrepreneur exploite son entreprise et en conserve la propriété. Les propriétaires familiaux de grandes entreprises privées (par exemple Patek Philippe ou Kudelski) ont donc bien du mérite de rester domiciliés en Suisse et d’y maintenir des emplois, alors que leur charge fiscale personnelle serait infiniment moindre s’ils s’établissaient à l’étranger.

L’enfer fiscal des startups

Le problème est encore pire pour les startups : certaines d’entres elles, considérées comme prometteuses, trouvent des investisseurs pour des montants importants, alors même qu’elles n’ont encore quasiment pas de chiffres d’affaires et réalisé aucun bénéfice. Pourtant, certains fiscs cantonaux taxent le fondateur de la startup en valorisant sa société à la valeur de souscription des investisseurs. Par exemple : un startup ayant réussi à attirer CHF 1 million d’investissement pour 10% de son capital sera valorisée à CHF 10 millions à 100%. Impossible pour le fondateur de payer l’impôt sur la fortune pour un montant aussi élevé. Pour payer ses impôts, il sera donc contraint de s’endetter personnellement ou de vendre des parts supplémentaires ; ou alors, pour y échapper, de partir à l’étranger.

Le système fiscal suisse incite l’entrepreneur à vendre, plutôt qu’à continuer

Le système fiscal suisse est donc ainsi conçu qu’il encourage l’entrepreneur à vendre sa société (large exonération des gains en capital), plutôt qu’à en poursuivre l’exploitation à long terme, notamment pour la transmettre à la génération suivante. C’est en particulier l’imposition sur la fortune qui pénalise de manière excessive l’entrepreneuriat. Il devrait donc être abrogé, ainsi que l’ont fait de très nombreux pays dans les 20 dernières années.

La Suisse est l’un des derniers pays qui imposent la fortune

Au sein de l’OCDE, seuls 4 pays pratiquent encore une imposition sur la fortune : la Suisse, la Norvège, l’Espagne (réintroduction en 2015) et la France. Dans ce dernier pays, enfer fiscal bien connu, il faut néanmoins saluer la solution retenue pour les entrepreneurs : le patrimoine immobilisé par un entrepreneur actif dans son entreprise (l’« outil de travail ») est exonéré de l’impôt français sur la fortune. Pour une fois, la Suisse pourrait s’en inspirer.

Abroger l’impôt sur la fortune est la meilleure solution…

Des remèdes sont indispensables pour éviter le découragement ou la fuite des entrepreneurs de ce pays. Le minimum est d’éviter le pire, en évitant d’ajouter à la lourde charge fiscale actuelle de nouveaux impôts frappant les successions ou les gains en capital. Le mieux sera de définir un nouveau pacte fiscal pour les entrepreneurs à long terme. Une fois la réforme de l’imposition des entreprises (RIE III) sous toit, il faudra s’attaquer à ce chantier et envisager des modes d’imposition intelligents et dynamiques, au niveau cantonal, susceptibles de remplacer l’imposition de la fortune. Mais il est impératif que cela se fasse dans une logique de remplacement (« à la place de… ») et non pas d’ajout (« en plus de… »).

… des alternatives fiscales plus dynamiques existent

Des solutions alternatives à l’impôt sur la fortune existent (cf. notamment les interventions au Parlement fédéral basées sur les réflexions du prof Xavier Oberson, Le Temps du 4.12.2014). Pour la plupart, elles incluent une suppression de l’imposition de la fortune, au moins pour l’ »outil commercial », au profit d’une imposition dynamique des gains en capital (avec dégressivité en fonction de la durée de détention, pour favoriser le long terme), d’une imposition modérée des successions ou d’une ré-estimation de la valeur des immeubles. Une autre solution astucieuse pourrait être d’autoriser pour les personnes physiques l’imputation de l’impôt sur la fortune sur l’impôt sur le revenu, ce qui reviendrait à créer économiquement une sorte d’impôt sur le revenu minimal, tout en évitant la double imposition (pour les sociétés, 11 cantons autorisent déjà l’imputation de l’impôt sur le capital sur l’imposition du bénéfice de l’entreprise).

Fiscalement, la Suisse écorche ses entrepreneurs

Dans son livre « L’impôt heureux », le ministre vaudois des finances Pascal Broulis souligne la modération fiscale de  l’empereur romain Tibère : « Le devoir d’un bon berger consiste à tondre son troupeau, non à l’écorcher ». En matière d’imposition sur la fortune, la Suisse écorche ses entrepreneurs. Il est temps de changer de pratique.