De la responsabilité des scientifiques et des chercheurs ou le mérite d’Apple

L’affaire qui oppose présentement Apple au FBI concerne, au-delà de la bonne ou de la mauvaise foi éventuelle des protagonistes, une question fondamentale : à quel moment un scientifique ou un chercheur a-t-il la responsabilité de refuser la communication d’une découverte ou la progression d’une recherche parce qu’il craint que les effets négatifs ne soient plus importants que les effets positifs ? C’est le principe de la responsabilité personnelle des chercheurs et des scientifiques, la question éthique fondamentale de la recherche et de la science. Elle s’est posée de manière très claire une première fois lors de la découverte de la bombe atomique. Elle va se poser de plus en plus souvent vu l’accélération des progrès techniques dans maints domaines. A quel moment faut-il interrompre la recherche du développement des drones afin de protéger la sphère privée, l’utilisation des robots, pour ne pas tuer toute humanité dans les relations de travail, les contacts médicaux, les activités sociales? Où doit s’arrêter la recherche génétique pour ne pas anéantir la dignité et l’identité humaines ? Etc…
La question doit être posée et traitée de toute urgence. Elle ne trouvera pas de réponse univoque, c’est certain, mais il convient de tordre le cou à une affirmation entendue très souvent de la part de chercheurs notamment universitaires : « Je n’ai aucune responsabilité dans ma recherche, parce que je travaille pour le progrès, c’est aux politiciens de prendre des mesures pour éviter des dérives dangereuses dans l’utilisation de mes découvertes ».
Il incombe certes à un Etat ou à ses autorités politiques de refuser, en dernière instance, d’utiliser une découverte scientifique dont on peut deviner les effets dangereusement négatifs. Prenons pour exemple la responsabilité de la Suisse de n’autoriser ni le don d’ovules ni les mères porteuses, envers et contre tout, malgré la déviance de plusieurs Etats, afin de lutter contre la chosification de la personne. Mais ce n’est que la phase ultime. La première responsabilité, c’est celle des médecins qui encouragent des patientes à recourir à des solutions interdites ou acceptent de se livrer au petit jeu de la fabrication artificielle d’enfants-choses ou celle des chercheurs en biogénétique qui nient ou feignent d’ignorer les effets négatifs de leurs efforts scientifiques.
Sans le savoir peut-être, et pour des raisons commerciales même éventuellement, Apple vient d’ouvrir un débat qu’il est grand temps d’avoir.

Suzette Sandoz

Suzette Sandoz est née en 1942, elle est professeur honoraire de droit de la famille et des successions, ancienne députée au Grand Conseil vaudois, ancienne conseillère nationale.