L’Allemagne s’apprête à s’excuser pour le génocide en Namibie

Héréros ayant survécu après avoir fui à travers l’aride désert d’Omaheke (vers 1907). Archives allemandes

Pierre Hazan,

Un siècle après avoir perdu sa colonie du Sud-Ouest africain, l’actuelle Namibie, l’Allemagne discute comment mettre un terme à l’un des chapitres les plus noirs de sa période coloniale : l’extermination de plus de 80% des Hereros qui fut le premier génocide du 20e siècle.

Il y a quelques décennies, quiconque se rendait à Windhoek, la capitale de la Namibie, empruntait l’avenue du Kaiser ; ou la Heinrich Goeringstrasse, une autre des artères principales de ville du nom du premier Haut-Commissaire qui entre 1885 et 1900 dirigea cette colonie allemande. La Namibie a accédé à l’indépendance en 1990, mais l’une des pages les plus sombres de l’histoire coloniale allemande est restée largement ignorée du grand public, même si elle était connue des historiens et, bien évidemment, des descendants des rescapés.

Entre 1904 et 1908, deux groupes rebelles, les Hereros et les Namas furent exterminés à plus de 80% par les soldats allemands. Ce fut le premier génocide du 20e siècle, même si le terme n’existait pas encore (il fut forgé en 1943). Quelques 100.000 Hereros et 10.000 Nama ont ainsi péri, car ils s’opposaient à la mainmise de leur terre par les colons allemands à la recherche de leur Lebensraum, leur « espace vital ». Le général Lotha von Trotha, qui dirigeait les troupes allemandes, écrivait l’ordre d’extermination en 1904 : « Je crois que la nation (Herero) doit être annihilée, ou, si ce n’est pas possible, expulsée du pays par des mesures tactiques ».

Il donna l’ordre selon quoi « Tout Herero trouvé sur le territoire allemand, avec ou sans fusil, avec ou sans bétail, devra être tué. Je n’accepte pas non plus les femmes et les enfants : ils devront être renvoyés ou fusillés ». Certains historiens ont tracé une filiation entre « l’Holocauste du Kaiser » et celui commis par l’Allemagne de Hitler, tous deux reposant sur une idéologie eugéniste, la pureté raciale et une vision scalaire de l’humanité. L’impunité absolue dont bénéficia le général Lotha von Trotha après avoir commis ce crime de masse conforta sans doute les nazis qu’ils ne risquaient rien à exterminer d’autres populations. Von Trotha enferma des Hereros dans des camps de concentration, s’inspirant des Britanniques qui avaient inauguré ce type de détention durant la 2e guerre des Boers (1899-1902).

« Vous ne pouvez pas rembobiner le temps »
Un siècle après que l’Allemagne a perdu ses colonies africaines, elle a reconnu pour la première fois officiellement le 10 juillet 2015 que les soldats de von Trotha étaient responsables d’un « génocide ». Une reconnaissance due aussi à la mobilisation des descendants Hereros et aux Namas, qui avaient dépêché une délégation à Berlin et menaçaient de saisir un tribunal arbitral si leurs demandes n’étaient pas satisfaites, soit la reconnaissance du génocide, des excuses officielles, le rapatriement des restes humains volés à des fins pseudo-scientifiques, et, enfin des négociations avec les autorités allemandes autour de la question des réparations.

Depuis lors, les autorités allemandes et namibiennes négocient une déclaration commune, mais se heurtent sur l’utilisation du mot de « réparations », souhaité par la Namibie, mais récusé par l’Allemagne. Celle-ci estime que le crime de génocide n’a été formalisé qu’avec la Convention internationale de 1948 et ne s’applique donc pas rétroactivement. L’envoyé spécial allemand, Ruprecht Polenz, veut éviter de déclencher des demandes en réparation en cascades pour des crimes commis il y a longtemps : « Vous ne pouvez pas refaire l’histoire. Vous ne pouvez pas rembobiner le temps, pas plus dans votre vie privée que dans la vie publique », affirmait-il au New York times. L’Allemagne a cependant laissé entendre qu’elle accorderait une aide au développement.

Ce dénouement, encore à venir, plus d’un siècle après les faits s’explique par le fait qu’entre 1915 jusqu’à l’indépendance de la Namibie en 1990, ce fut le régime blanc sud-africain qui domina ce territoire et n’avait aucun intérêt à évoquer les massacres commis contre les Hereros et les Namas. Les Britanniques avaient documenté les massacres dès 1918 dans un rapport parlementaire, le blue book, mais ne l’avait jamais rendu public, car le gouvernement allemand menaçait en retour de révéler les atrocités coloniales commises par les soldats de sa Gracieuse Majesté. Après l’indépendance, ce fut le principal groupe ethnique, les Ovambos, qui dirigèrent le pays et n’accordèrent jusqu’à récemment que peu d’attention aux demandes des descendants des Hereros et des Namas de voir reconnaître les souffrances endurées par les leurs au début du 20e siècle. La suspicion des Hereros et des Namas à l’égard de la capacité du gouvernement namibien à protéger leurs intérêts demeure. Le 5 janvier 2017, des représentants Hereros et Namas ont déposé une plainte collective aux Etats-Unis demandant d’être inclus dans les négociations entre l’Allemagne et la Namibie. Ils veulent s’assurer que leurs droits comme minorité ethnique et indigène soient bien protégés et qu’ils obtiennent « réparation » pour le génocide commis par le lle Reich entre 1904 et 1908.

Pierre Hazan

Pierre Hazan est conseiller senior en matière de justice de transition auprès du Centre pour le Dialogue Humanitaire, une organisation spécialisée dans la médiation des conflits armés. Il a couvert de nombreux conflits comme journaliste avant de se spécialiser sur les questions de justice dans les sociétés divisées. Il a été chercheur à la Faculté de droit de Harvard et a travaillé au Haut Commissariat aux droits de l’homme. Pierre Hazan est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la justice pénale internationale.