Soutenir la science, oui mais dans sa nécessaire diversité

Les milieux scientifiques se mobilisent actuellement pour obtenir de meilleurs financements fédéraux pour les quatre années à venir. Un cinquième des coupes prévues sont en effet dans ce domaine qui ne représente qu’un dixième du budget fédéral. Les universités, les HES, les EPF, le Fonds National Suisse, les Académies font donc front pour accroître l’enveloppe budgétaire du Message 2017-2020 sur la Formation, la Recherche et l’Innovation (FRI). Dans ce contexte, les milieux scientifiques semblent donc unis. Toutefois, au cours du débat parlementaire actuel, chacun va essayer de tirer son épingle du jeu: les EPF vont jouer sur leur prestige, les cantons vont défendre leurs hautes écoles, les milieux économiques l’importance de la formation professionnelle.  En arrière-fond de ce débat, nous allons comme d’habitude trouver un lieu commun non discuté qui risque bien de jouer un rôle dans la répartition des budgets. Ce lieu commun c’est l’idée qu’il y aurait une seule science, une seule façon de l’évaluer et donc une hiérarchie au sommet de laquelle se trouve les sciences de l’ingénieur et de la nature puis en dessous, car moins “scientifiques”, se placeraient dans un ordre variables les autres sciences: de l’humain, de la société, et les sciences appliquées. Pour clarifier le débat, il serait temps de démêler un peu la pelote de LA science.

Science intensive et extensive

Précisons d’abord qu’il ne s’agit pas d’opposer les pratiques diverses que l’on finance dans le cas suisse par une même enveloppe, celle du Message FRI. Ces pratiques, celles des sciences naturelles et celles des sciences sociales par exemple, ont pour trait commun de recourir à une démarche la plus rigoureuse, transparente et reproductible possible. Elles devraient idéalement aussi ne pas être motivées par des intérêts particuliers. Ces caractéristiques justifient leur regroupement et leur soutien par les finances publiques. Au-delà de ces traits, les différences sont cependant nombreuses. Il serait inutile et fastidieux d’en faire un catalogue. Mais une différence me semble importante pour clarifier le débat et sortir des lieux communs: celle qui distingue science intensive et science extensive.

Ces dernières années un discours dominant s’est imposé dans les milieux scientifique. C’est celui de l’excellence scientifique. A priori, l’excellence scientifique fait consensus: qui pourrait vouloir la médiocrité? La question c’est cependant celle des critères de mesure de cette excellence. Les critères largement dominants depuis une vingtaine d’années sont ceux du nombre de publications, du prestige et de l’impact des revues dans lesquelles ces publications paraissent et, dans une moindre mesure, les subsides de recherche obtenus. Ces critères ne sont pas inutiles: ils mesurent une forme d’excellence qui est celle de la capacité à être compétitif dans les concours que proposent les revues et les agences de financement. Cette capacité est loin d’être négligeable en matière d’innovation scientifique. Mais ces critères dominants d’excellence créent une monoculture scientifique où ce qui distrairait les chercheurs de la répétition continuelle de ces concours est dévalué. Cette monoculture favorise, même s’il peut y avoir des exceptions, la clôture du monde scientifique sur lui-même. C’est ce que j’appelle la science intensive. Celle qui se concentre sur une activité exercée avec un groupe de pairs. Un peu comme une discipline sportive de haut niveau.

La grande famille de LA science est toutefois multiculturelle. D’autres scientifiques s’adonnent certes à ces pratiques, mais aussi à d’autres activités. Certains appellent cela de la science “en plein air”, c’est-à-dire des activités caractérisées par le même souci de rigueur et de transparence, mais qui s’adressent à d’autres publics que les pairs du monde scientifique. Il s’agit ici de collaborations avec la société civile par exemple, à qui les scientifiques apportent des connaissances sur des sujets qui l’intéresse ou apportent leur capacité de produire des connaissances avec elle. Sur la violence à l’école en effectuant une recherche avec des adolescents, pour ne donner qu’un seul exemple. Ces pratiques scientifiques sont orientées moins vers la compétition que vers la collaboration et ne débouchent pas forcément sur des publications dans des revues internationales à fort “impact”. Il s’agit aussi d’activités qui visent un dialogue avec un public plus général, par la présence dans les médias, l’organisation d’exposition, des conférences ou…des blogs. C’est ce que j’appelle une science extensive, qui implique des activités variées, avec des interlocuteurs appartenant à des mondes eux aussi variés.

Rééquilibrer compétition et collaboration

Tout comme la compétition a largement prédominé sur la collaboration ces dernières dans l’ensemble de la société, la science intensive a été excessivement dominante dans les milieux scientifiques. Il est temps de retrouver un meilleur équilibre. Nous pouvons aujourd’hui percevoir les prémices de ce changement. Le Fonds National Suisse de la recherche et plusieurs universités suisses ont par exemple récemment signé la Déclaration de San Francisco sur l’évaluation de la recherche qui incite à ne pas se fier aveuglément aux facteurs d’impact des revues. Cela encourage les milieux scientifiques à élargir leurs critères d’évaluation de l’excellence. C’est un petit et premier pas. Il est important de poursuivre ce rééquilibrage dans les années à venir. Il faut en effet autant de science extensive qu’intensive, autant – si ce n’est plus …- de collaboration que de compétition si nous entendons mettre pleinement à profit la capacité des milieux scientifiques à répondre aux enjeux centraux auxquels nous sommes confrontés, notamment: le changement climatique, les migrations internationales, l’urbanisation, la violence.

Dans le débat actuel sur le financement de la science en Suisse, il est utile d’avoir à l’esprit son équilibre et sa nécessaire diversité plutôt que les traditionnels et naïfs “rankings” et hiérarchies qui ont fait florès ces dernières années.

 

Ola Söderström

Ola Söderström est professeur de géographie sociale et culturelle à l'Université de Neuchâtel. Il observe les villes en mouvement depuis 25 ans, quand sa curiosité ne le mène pas ailleurs...