Les vaches à cornes : la question des subventions

Le 25 novembre prochain, nous votons. Partout nous entendons parler de l’initiative dite d’autodétermination. Parfois du référendum sur la surveillance des assurés. Mais il est rare que le troisième soumis au vote soit sérieusement mentionné.

Depuis des années, on sourit doucement en racontant qu’en Suisse, on peut voter sur tout et n’importe quoi. Aucun sujet n’est trop bien ou trop mauvais pour notre démocratie. “On vote même sur les cornes de nos vaches.“ Il s’agit de l’inscription dans la Constitution fédérale de subventions pour les paysans dont les vaches, les taureaux reproducteurs, les chèvres et les boucs reproducteurs conservent leurs cornes. La pertinence d’un tel objet me paraît peu évidente. Pourtant, les initiants ont récolté quelques 119 626 signatures validées par la Chancellerie fédérale. Selon les derniers sondages, l’initiative serait soit acceptée à 49%, soit refusée à 52%. Heureusement, son soutien semble s’éroder, le premier sondage la donnait gagnante à 58%.

Cependant, la confusion règne autour de ce sujet. Ainsi, BFM TV titre « Les Suisses vont devoir se prononcer pour ou contre les vaches à cornes ». Non, nous ne votons pas sur les bienfaits de laisser aux vaches leurs cornes mais sur l’attribution de subventions pour des paysans possédant des bêtes à cornes. Le bien-être animal semble être un sujet plus sexy, or il n’est ici question que d’argent. Quel que soit le résultat le 25 novembre, les paysans pourront continuer à écorner leurs animaux.

Le bien-être animal

Mais ces paysans réclamant plus de subventions pour leur bétail à cornes plaident que laisser les cornes coûte. En effet, les animaux ont besoin de plus d’espace afin d’éviter de se blesser… avec leurs cornes. Mais est-ce si nocif que cela que d’enlever à un animal ses cornes ? Non répond le Conseil fédéral dans son message. Il n’existerait aucune étude attestant d’une entrave significative au bien-être animal. Cet avis est disputé.

La corne des vaches n’est pas un os mort et nu, explique Anet Spengler, responsable du groupe sélection animale de l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL).

En enlevant les cornes à leurs vaches, les paysans priveraient ces dernières d’une partie de leur sinus. Le crâne se déformerait alors pour compenser l’écornage. Les cornes auraient également une fonction sociale importante pour nos amis les bêtes. Grâce à ces dernières, leur position sociale est généralement plus élevée que celle d’un animal en étant dépourvu. Ils ont également droit à un espace individuel plus étendu. Précisons tout de même qu’il existe de plus en plus de vaches naissant sans ces excroissances osseuses. Ces dernières ne pourraient donc pas bénéficier de subventions alors qu’elles n’ont pas été écornées ! Où est la justice ? Le caractère sans corne est un gène dominant, c’est-à-dire qu’il se manifeste toujours quand il est dans l’ADN de l’individu. Cela fait qu’il est facile d’obtenir via la reproduction des animaux sans encornures.

L’écornage en lui-même n’est pas sans risque, il peut en résulter des infections, du stress et des douleurs pour l’animal. Cependant, c’est oublier qu’un animal avec des cornes est un danger pour le paysan qui s’en occupe et ses congénères ruminants. Il n’existe pas de chiffres sur le nombre d’accidents en Suisse, mais en Autriche, c’est un accident de bétail sur six qui est dû à des coups de cornes. Notre conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann en charge de l’économie a avoué avoir été lui-même victime d’un tel accident lors de sa jeunesse.

Il appartient donc aux éleveurs de choisir ce qu’ils veulent pour leurs bêtes. Les deux choix se défendent, que cela soit la sécurité, versus le bien-être animal et une certaine image traditionnelle. Garder les cornes des vaches pourra à l’avenir être un fort argument marketing quand on constate le capital sympathie dont a bénéficié cette initiative. Il appartient aux consommateurs de décider s’ils sont prêts à payer un peu plus cher pour des produits issus d’animaux à cornes. Mais ce choix entrepreneurial n’a pas être financé par les impôts de nos concitoyens. Le Conseil fédéral estime que cela coûterait entre 10 et 30 millions de francs au contribuable par an. Libre à chacun d’investir ses deniers comme il ou elle le souhaite. Point besoin de forcer son voisin à en faire de même.

Les subventions agricoles 

Cela ne veut pas dire l’enveloppe de subventions à nos paysans se verrait augmenter (rappelons ici que les dépenses officielles en faveur de l’Agriculture et de l’Alimentation se monte déjà à 4,9 milliards par an selon une étude d’Avenir Suisse),  mais que sa répartition se verrait modifier en faveur des paysans possédant des animaux à cornes.

Pour finir, il s’agit d’une aberration que d’inscrire dans notre Constitution fédérale des détails relatifs à une subvention. Une norme constitutionnelle se doit d’être générale et abstraite. Elle organise la structure de l’Etat et protège les citoyens face à l’administration, mais elle n’est pas un registre listant des subventions pour n’importe quelle cause ; aussi bien intentionnée soit-elle.

A titre personnel, je suis contre le modèle actuel de subventionnement de l’agriculture, ce protectionnisme mène à des prix fort élevés et est problématique pour le libre-échange. Cela retarde notamment depuis 10 ans un accord avec les Etats-Unis. L’habitant suisse n’a le choix que de se faire traire, que cela soit via les impôts ou ses courses. Cela mène par ailleurs à du tourisme d’achat dans les zones transfrontalières. Ces mêmes habitants que l’on montre ensuite du doigt comme étant des mauvais Suisses. Peut-être agiraient-ils différemment si les prix n’étaient pas si élevés.

Avenir Suisse a récemment publié une étude, “Une politique agricole d’avenir“ qui donne plusieurs pistes de réflexion pour une ouverture et une évolution de la présente situation. Le Conseil fédéral, avec la mise en consultation de sa “Politique agricole 2022“, ne semble pas vouloir renoncer de sitôt au protectionnisme. Il fait fi de l’ouverture aux frontières relative aux produits agricoles, de la réduction de la protection douanières ou de la consolidation des accords de libre-échange. Au programme: encore et toujours une large redistribution de notre argent.

Pouvoir choisir quand et comment, et pourquoi pas ?

Choisir de mourir alors que l’on a la santé. C’est la décision prise par Jacqueline Jencquel. A l’âge de 76 ans, tout s’arrêtera, c’est programmé. Avec son billet dans le Temps, elle relance le débat du suicide médicalement assisté. Le sujet peut sembler ordinaire chez nous, pourtant il n’y a que six pays (La Suisse, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, cinq états des États-Unis et le Canada) qui en autorisent la pratique. En Suisse, c’est le cas depuis 1942.Le code pénal suisse rappelle cependant à l’article 115 que l’incitation et l’assistance au suicide pour mobile égoïste (« basé sur l’idée qu’il ne fallait pas punir celui qui agissait pour des motifs d’amitié, notamment celui qui agit par pure pitié ou compassion, dans le seul intérêt de la personne qui veut se suicider ») est passible de maximum cinq ans de prison ou d’une peine pécuniaire.

L’assistance au suicide versus l’euthanasie

L’assistance au suicide est à distinguer de l’euthanasie. Lors d’un suicide, c’est la personne qui s’administre elle-même les substances létales que lui fournit le corps médical. Si elle en est physiquement incapable, c’est un tiers qui s’en occupe sous la surveillance d’un médecin. Il peut également intervenir en cas de complications afin de prendre les mesures nécessaires à la mort. Dignitas et Exit, deux associations emblématiques du suicide médicalement assisté, précisent qu’il faut souffrir d’une maladie mortelle, d’un handicap et/ou de douleurs intolérables. L’euthanasie est une mort provoquée par un tiers, un médecin ou un collège de médecins par l’administration ou l’omission de soins. La principale distinction de l’aide au suicide avec l’euthanasie est que, dans le premier cas, la personne prend par elle-même la substance létale et doit être consciente de ce qui est en train de se dérouler.

L’euthanasie en Suisse :

L’euthanasie se divise en deux catégories : L’euthanasie passive et l’euthanasie active. La première consiste à renoncer à maintenir en vie par des traitements ou à arrêter les traitements. Par le refus de l’acharnement thérapeutique, cela revient à mettre fin aux jours d’une personne sans que celle-ci n’ait à faire quoi que ce soit. Elle n’est pas explicitement réglée dans la loi. L’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) admet néanmoins sa pratique.

L’euthanasie active est à subdiviser en deux catégories. Elle peut être indirecte ou directe. L’aide indirecte est de soulager les souffrances d’une personne capable de discernement en lui administrant « des substances […] dont les effets secondaires sont susceptibles de réduire la durée de la survie ». Cela implique que la personne donne son consentement lors de l’acte. Tout comme l’euthanasie passive, l’euthanasie active indirecte n’est pas inscrite dans la loi et est toutefois acceptée en pratique.

C’est au niveau de l’euthanasie active directe que le bât blesse. Contrairement à la précédente, le patient n’a plus la capacité de demander que l’on mette fin à ses jours ou qu’on le fasse pour lui. Il ne peut donc consentir valablement lors de la prise des substances. Autrement dit, si vous êtes dans un état végétatif, mais que votre corps fonctionne parfaitement, on ne peut rien faire. Si une personne venait à mettre fin à vos jours, la loi suisse condamne cela au même titre qu’un meurtre. Toutefois, si cela était sur votre demande, la peine n’excèderait pas trois ans au lieu de cinq ans prévus pour un meurtre sans une telle circonstance atténuante (art. 111 et 114 du code pénal).

Des propositions ont été formulées pour changer la situation légale depuis 1942. Certains élus ont demandé que l’euthanasie passive et active indirecte soient incluses à l’article 115 afin de combler le flou juridique.  Renouvelée à plusieurs reprises, cette proposition n’a jamais abouti car considérée comme inutile.

L’euthanasie active directe

La question de la légalisation de l’euthanasie active directe fut posée en 1994, la réponse du Conseil fédéral mérite d’être citée.

« [Le Conseil fédéral] a fondé son avis essentiellement sur le raisonnement suivant, à savoir que l’assistance au décès ayant pour seul but d’entraîner la mort du patient et de le délivrer ainsi de ses souffrances n’était pas compatible avec le devoir de protection de la vie humaine incombant à l’Etat et découlant de l’ordre des valeurs sur lequel se fonde notre constitution. »[1]

Si le suicide est autorisé en Suisse, cela ne veut pas pour autant dire que le citoyen a un “droit à la mort“. Il ne peut exiger de l’État qu’il lui donne la mort. Libre à nous de mettre fin à nos jours par nous-mêmes. L’euthanasie active directe ne requiert pas forcément une intervention étatique. Pourquoi des individus ne pourraient-ils pas convenir d’une mort anticipée en cas de perte significative de discernement ? Comme pour un testament ou un mandat pour cause d’inaptitude, un individu pourrait désigner la procédure à suivre pour sa mort. La Belgique a autorisé en 2002 l’euthanasie active directe. Si cela est possible sans excès chez nos voisins, pourquoi l’interdire ici ?

Il est tout à fait concevable de condamner moralement la solution du suicide ou de l’euthanasie. Pour autant doit-on en interdire à tous l’usage ? Si un individu décide, pour des motifs qui lui sont propres, d’interrompre sa vie, doit-il être soumis à l’approbation de toute la communauté ? Du moment que le suicide est légal, n’est-il pas plus prudent de le faire dans les meilleures conditions possibles ? En étant accompagné par des professionnels qui savent ce qu’ils font. Car l’interdire ne signifie pas que le patient renoncera à son projet. En 2016, un octogénaire, ne pouvant recourir à Exit, avait mis fin à ses jours tout seul. Ou d’autres, comme David Godall, un scientifique australien de 104 ans, a dû venir jusqu’en Suisse pour mourir.

« “J’aurais préféré que cela se passe dans ce pays [ndrl. En Australie]”, confie-t-il, “ce pays est ma maison, je suis désolé de faire un si long voyage, pour en finir avec ma vie”. »[2].

En conclusion

Cessons de croire que nous avons le droit de décider de la mort de nos concitoyens. Mme Jencquel l’exprime magnifiquement :

« On prépare tellement de moments importants : les baptêmes, les mariages, les diplômes… pourquoi pas la mort ? Pourquoi vouloir absolument laisser un moment aussi important de nos vies au hasard ? »[3]

Avec nos idéaux de protection du bien commun, que cela soit en Suisse ou ailleurs, nous forçons nos compatriotes à aller mourir loin de chez eux ou à agir seul dans des conditions bien moins sûres. Si le but est de préserver la dignité humaine, c’est en rendant accessible, près de chez soi, une fin de vie tranquille que l’on y parviendra. Pas en poussant dans la clandestinité un phénomène de plus en plus populaire.

Quelques chiffres :

  • En Suisse, 40% des décès sont le résultat d’une euthanasie passive indirecte.
  • En 2017, 286 personnes ont eu recours à l’assistance au suicide en Romandie. Au niveau national, ce sont 965 personnes en 2015 (il n’y a que les résidents suisses qui sont comptabilisés).
  • Le nombre d’étrangers venant mourir en Suisse est inconnu, il y en aurait eu 91 en 2007.
  • Les patients d’Exit ont en moyenne 77,5 ans.

[1]https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=19943370

[2] https://www.francetvinfo.fr/societe/euthanasie/david-goodall-le-choix-de-l-euthanasie_2735237.html

[3]https://blogs.letemps.ch/jacqueline-jencquel/2018/08/08/sagesse/

2018 : L’odyssée du quota

Par Nicolas Jutzet et Louise Morand

C’est officiel : pour le Conseil national, la Suisse a besoin de quotas! La chambre du peuple a voté, par 95 voix contre 94 et 3 abstentions, que les sociétés cotées en Bourse devront compter au minimum 30 % de femmes dans les conseils d’administration et 20 % dans les directions. À ce jour, dans les 100 plus grandes entreprises du pays, les femmes occupent 19 % du conseil d’administration et 7 % des directions. Cette nouvelle règle s’appliquera 5 ans après l’entrée en vigueur de la réforme du droit des sociétés anonymes. Toutefois, aucune sanction n’est prévue en cas de manquement. La mesure toucherait quelque 250 sociétés. Il faudra à ces dernières s’expliquer sur les raisons de leur échec à respecter ce pourcentage et donner des pistes pour y parvenir dans le futur.

Qui dit quotas, dit discrimination positive. Or, si le terme ‘positif’ peut prêter à confusion, l’inégalité, elle, demeure.  Ainsi donc, les femmes seraient-elles encore et toujours le sexe faible ? Est-il impossible d’être libre, de trouver sa place, sans le secours des nobles chevaliers parlementaires ? C’est oublier qu’un emploi devrait être dû à des compétences et non des chromosomes XX ou XY. John Stuart Mill, féministe au 19e siècle, disait «On demande seulement la suppression des indemnités et des droits protectionnistes dont jouissent actuellement les hommes»[1]. Lorsqu’une femme arrivera à un poste où règnent les quotas, en elle subsistera toujours le doute, que ne manqueront pas de lui rappeler ses collègues, de savoir si elle a réellement mérité ce travail. Cette mesure, votée afin de se donner bonne conscience, sera un poids de plus pour celles-là même qu’elle est censée protéger. À trop vouloir préserver un sexe de discriminations, on en vient à rendre ce critère incontournable. On le place au centre de toutes les discussions. Plutôt que de passer outre et de se concentrer sur les compétences de la personne.

La responsabilité individuelle aux oubliettes

37 ans après l’introduction d’un article pour l’égalité salariale dans la Constitution et des progrès dans de nombreux domaines, il semble que l’autorégulation et la responsabilité individuelle aient désormais mauvaise presse au Palais fédéral. Pour les parlementaires, la Suisse et ses réalités ne correspondent pas à leur vision, forcément omnisciente, de la société idéale. Il s’agit donc de modifier cette réalité par la loi, et vite ! Après avoir proposé des quotas pour le Conseil fédéral, puis une surveillance des salaires dans les grosses entreprises, voici venu le temps de la description de ce qu’est une bonne direction d’entreprise. Mais seulement dans les entreprises cotées en bourse, évidemment. Alors que la Suisse est peuplée à 99 % de PME. On perd, ici déjà, toute notion de cohérence. Comme pour la surveillance des salaires, l’État intervient, mais toujours en se focalisant sur les grandes structures. Comme si le Léviathan confessait, de lui même, que sa clairvoyance était somme toute relative, notamment pour prendre en compte les infimes nuances que génèrent les spécificités de la vie interne de chaque petite et moyenne entreprise du pays. Première inégalité. Si ces mesures marchent (Ce qui est évident, étant donné qu’elles récoltent une majorité au Parlement. Le contraire voudrait dire qu’on vote des lois, des mesurettes populistes pour faire plaisir au bon peuple et ça… Non, c’est impossible, évidemment), pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Si l’idée d’imposer une façon de faire, de structurer sa direction semble admissible pour une majorité des parlementaires, pourquoi s’arrêter à ces chiffres arbitraires ? La femme n’est l’égale qu’à 30 % de l’homme au Conseil d’administration, et à peine 20 % dans les directions ? L’arbitraire règne en maître, suivi de près par l’hypocrisie d’un parlement qui croit se dédouaner de rendre des comptes sur les causes réelles de ce malaise qui subsiste au sujet de la rémunération et l’épanouissement professionnel des femmes dans notre pays. On peut donc rajouter l’égalité homme-femme à la longue liste de choses trop sérieuses pour être laissées aux mains de politiciens.

Un vote et une date symbolique

Par ailleurs, cette mesure inutile, si ce n’est néfaste, fut votée un 14 juin. Ce qui est loin d’être un détail. Car, petit rappel historique, le 14 juin 1991 eut lieu la « Grève des femmes ». L’Union syndicale suisse avait alors organisé une grève à travers tout le pays impliquant plus de 500 000 femmes qui revendiquaient une application plus stricte de l’article constitutionnel instaurant l’égalité homme-femme (art. 8 al. 2 Cst). Ne serait-ce que par la date, nos élus envoient un signal fort à la population. « Oui, les quotas sont acceptables ». Nos parlementaires auront beau répliquer que c’est une mesure non contraignante, les médias nationaux ont d’ores et déjà présenté comme établi que le Parlement accepte les quotas (sous-entendu contraignants). La nuance est infime et peu seront ceux qui la remarqueront. Et, pour être honnête, peu importe la forme, on admet que l’État doit s’immiscer dans la vie des entreprises, une fois de plus. Ainsi donc, en votant de manière « symbolique », des personnes traditionnellement opposées à ces règles ont directement contribué au futur vote des quotas obligatoires. L’enfer est dit-on pavé de bonnes intentions. Or ici, ce besoin paternaliste de devoir démontrer que « le politique fait quelque chose pour les femmes » sera, sur le long terme, une défaite intellectuelle pour toute personne qui pense que la responsabilité individuelle, et celle des entreprises, est le meilleur chemin pour atteindre une maximisation de l’épanouissement des individus, quel que soit son sexe. À force de « servir les plats » à la gauche, en avalant des couleuvres par paquets, dans une volonté démagogique de démontrer que l’on a compris l’évolution de la société, certains libéraux font le lit de l’avancée de la pensée erronée qui voudrait que l’État soit la solution, alors qu’il est bien souvent le problème.

L’uniformisation des individus

Le Parlement semble estimer que l’égalité ne peut être atteinte que si les femmes correspondent au modèle classique de réussite masculine. C’est-à-dire gagner un maximum d’argent le plus rapidement possible. Que les individus, qui se trouvent être des femmes, préfèrent se réaliser autrement semble impossible aux yeux de nos politiciens. Ceux-là mêmes qui nous parlent de réduction du temps de travail n’en tiennent pas compte lorsque cela est appliqué. Or 6 femmes sur 10 travaillent à temps partiel (par opposition, il n’y a que 1,7 homme sur 10 dans la même situation) et c’est une tendance qui se stabilise. Selon un rapport du Conseil fédéral, ces personnes préfèrent utiliser autrement leur temps. En se basant sur la psychologie cognitive et comportementale, certains on pu constater des différences entres les comportements moyens des hommes et femmes. Les femmes seraient plus nombreuses à choisir des métiers plus autonomes et à flexibles. Tandis que les hommes ont tendance à se diriger vers les extrêmes. « Il y a plus d’hommes extrêmement paresseux ou prêts à se tuer au travail. » a écrit la chercheuse Susan Pinker. Cela se nomme la plus grande variabilité masculine[2]. C’est-à-dire que les hommes seraient à la fois bien plus et bien moins aventuriers que les femmes. En conséquence, on trouverait moins de candidates féminines pour les postes où la carrière domine la vie sociale. Un employé de Google, James Damore, fut mandaté pour répondre à la question du peu de femmes dans l’entreprise. Sa réponse fut simple : On tente d’appliquer à tous un modèle sans tenir compte des individus et de leurs différentes aspirations. « We need to stop assuming that gender gaps imply sexism. » dit-il. Damore soulève le fait que toute différence entre les genres est vue comme une oppression des femmes. Sa conclusion est la suivante : cessons de considérer les personnes à travers le prisme de leur appartenance à un certain groupe. Suite à ce memo de juillet 2017, Damore fut renvoyé de Google. Cela montre bien le malaise qui règne autour de la diversité quand on la force. Avec ou sans quota.

La société évolue, que ce soit le rapport homme/femme, ou le rapport des citoyens avec le travail. Y répondre avec des codes et des logiques du passé, même à base de paternalisme faussement libéral (mieux connu sous le nom de nudging), n’a que peu de sens. Une entreprise qui permet à ses employés de gérer au mieux le rapport de plus en plus indécis entre le travail et le temps libre, bénéficie d’un avantage comparatif certain. Pourquoi se focaliser sur la finalité, alors que l’essentiel de l’évolution se passe ailleurs ? D’autres pistes existent. Dans un récent correctif, le Conseil fédéral reconnaît qu’au total, ce sont environ 704 000 couples mariés qui sont pénalisés sur le plan fiscal. Il s’agit d’éliminer la pénalisation, souvent aux dépens du revenu le plus modeste, des couples mariés dans le cadre de l’impôt fédéral direct. Les discussions autour de l’introduction d’un congé parental vont également dans le sens d’une meilleure prise en compte de l’évolution de la vie familiale. Dans ce sens, la possibilité de voir les déductions fiscales par l’impôt fédéral direct pour les frais de garde d’enfant par des tiers s’élever à 25’000 francs serait salutaire. Il s’agit donc d’accompagner ces changements, et non de forcer, par loi, une volonté parlementaire. L’État n’a pas à indiquer à une entreprise privée, quelle que soit sa taille, à quoi doit ressembler sa direction. D’après le récent rapport publié par Business Monitor, les femmes sont moins présentes aux postes de décision en Suisse romande qu’en Suisse alémanique. La Romandie légifère, donne des leçons au sein du Parlement, la Suisse allemande agit. As usual.

En dehors de la politique, le monde bouge.

Dans le privé, des exemples de réussite existent d’ores et déjà. Ikea Suisse et Sandoz Pharmaceuticals sont cités en exemple, car ils affichent la parité parmi leurs cadres. Cette démarche s’inscrit dans un large mouvement de fond. En Suisse, c’est « Advance Women », qui personnalise cela. Avec des membres comme ABB, Credit Suisse et autre Nestlé, elle poursuit l’objectif d’assurer que les femmes occupent 20% de tous les postes de direction dans les sociétés membres d’ici 2020 et que l’économie profite de l’innovation, du profit et de la productivité plus élevés résultant des équipes de gestion mixtes.

Ailleurs, parmi les investisseurs, la thématique est également à l’ordre du jour. Les plus gros fonds de pension du monde se fixent des objectifs « Investors including Japan’s Government Pension Investment Fund, the largest pension fund in the world, JPMorgan Asset Management, Standard Life and BlackRock will push companies for 30 per cent of women on FTSE 350 boards and 30 per cent of women in senior management at FTSE 100 companies by 2020 ». Encore une fois, la politique est utile pour fixer un cadre optimal à l’économie, pas pour lui dicter sa route. Chacun son travail. Le parlement évite de trop nuire au modèle à succès qu’est la Suisse, basée sur l’autorégulation, et les entreprises s’occupent de créer du travail et de la valeur ajoutée.

En conclusion, il s’agit également de reconnaître que ceux qui font l’économie de ce pays et les différentes organisations qui représentent ces milieux partagent la responsabilité de cet échec intellectuel et de la faillite supposée de la responsabilité individuelle. Qu’une majorité du parlement, qui pense sur cet objet donner suite à un sentiment de la population, se permette de mettre à mal ce qui a fait la réussite de notre pays démontre, sans discussion possible, que la thématique n’a pas encore assez été prise au sérieux par l’ensemble du tissu économique. Ou du moins, pas assez expliquée. Dans le futur, donnons-nous les moyens d’éviter ces démarches populistes : montrons l’exemple !

Et pour ceux qui, aujourd’hui, redoublent d’ingéniosité pour tenter de justifier leur vote : Nous nous réjouissons de voir leur vote au sujet de la surveillance des salaires dans les entreprises (là aussi, pas de sanction prévue en cas d’échec). Ou des quotas contraignants. L’acrobatie argumentaire à de beaux jours devant elle. La liberté et la responsabilité individuelle, beaucoup moins.

Vous pouvez retrouver cet article sur le site de Nicolas Jutzet.

[1] L’asservissement des femmes, John Stuart Mill, 1869.

[2] Les hommes sont-ils obsolètes ?, Laetitia Strauch-Bonart, 2018.

Ultralibéral, ultracaricatural ?

Au cours de mes activités politiques, j’ai eu l’occasion d’être qualifiée d’ultralibérale. Que cela soit par des inconnus, des proches ou même des collègues de parti. En Suisse, soutenir une mesure libérale, y compris lorsqu’elle est consensuelle[1], peut vous valoir d’être ainsi caricaturé. Par exemple, un journaliste du Matin, tint ces propos au sujet de la légalisation du cannabis dans l’un de ses articles : « Les producteurs sont partisans d’un modèle ultralibéral, à l’image de ce qu’a fait le Colorado aux États-Unis. »[2] Alors, forcément, on vient à se demander ce que cela signifie. Si l’on demande conseil à notre ami Google, on apprend que c’est un terme polémique désignant péjorativement quelque chose de peut-être libéral[3]. Peut-être, parce qu’il n’y a pas de consensus sur la signification de ce terme. En somme, c’est un mot fourre-tout pour décrédibiliser l’adversaire. Charmant, cette volonté de débattre de façon honnête.

Parfois, j’essaie de comprendre ce besoin de simplifier, de mettre dans une case. Cela relève à mon avis de la paresse intellectuelle. Je comprends que nous ne soyons pas du même avis, la diversité est saine et même souhaitable. C’est en débattant avec autrui que l’on se forge une opinion. Seule la concurrence des idées et leur choc permet de faire émerger une vérité, si relative soit-elle.

Seulement, user de ce terme est bien la preuve qu’un débat sera vain. En un mot, la fermeture de notre interlocuteur nous est connue. Par le simple préfixe qu’est ultra-, on sait alors que l’autre nous considère comme extrémiste. Que notre position est excessive. Or, nous le savons tous, tout ce qui est excessif est insignifiant. On est donc TROP libéral. Mais sait-il au juste ce que signifie le terme libéral ? Sur internet (là encore, Google est votre ami), on trouve la définition suivante : « Ensemble des doctrines politiques fondées sur la garantie des droits individuels contre l’autorité arbitraire d’un gouvernement (en particulier par la séparation des pouvoirs) ou contre la pression des groupes particuliers (monopoles économiques, partis, syndicats).»[4]  Ensemble sous-entend qu’il y a plusieurs visions du libéralisme, plusieurs approches. Que l’on défende le libéralisme classique (« doctrine qui défend la propriété privée, une économie de marché non entravée, l’État de droit, les garanties constitutionnelles de liberté religieuse et de liberté de la presse, et des relations internationales pacifiées par le libre-échange. »[5]), le minarchisme (« théorie politique qui prône un Etat minimum limité à ses pouvoirs régaliens (Etat-Gendarme) qui sont ceux de sa stricte légitimité : le maintien de l’ordre, la justice, la défense du territoire. »[6]) ou l’anarcho-capitalisme (« philosophie individualiste du droit basée sur la non-agression. Sont légitimes toutes les interactions entre adultes consentants ; sont illégitimes toutes les atteintes à la propriété d’un tiers non consentant. »[7]) ; tout libéral peut avoir son propre idéal. En accord avec cette liberté qui nous est chère, nous n’imposons pas notre vision du monde (bien commun pour les intimes) à autrui. Cette ignorance du libéralisme est patente jusque parmi ceux qui se qualifient pourtant de libéraux. Ou plutôt de “libéraux-responsables“. Pour ces personnages, la nuance est inconnue. N’est-il pas possible de confronter nos idéaux sans taxer illico presto notre condisciple d’idéologue ?

Edouard Philippe le résume bien : « Quand on veut disqualifier une politique, ou une mesure, libérale, on la qualifie d’ « ultra-libérale ». Cela permet de tuer immédiatement le débat et de rejeter d’emblée l’adversaire dans un enfer assez effrayant peuplé d’horribles individus qui ne rêvent que d’une chose : que les citoyens soient laissés à eux-mêmes et qu’ils ne soient plus soignés, protégés, transportés, soutenus. Bref, administrés. »[8]

[1]https://www.tdg.ch/suisse/suisses-prets-legaliser-cannabis/story/19912748

[2]https://www.lematin.ch/navlematindimanche/ouvert/Les-500-000-fumeurs-suisses-de-cannabis-valent-une-fortune/story/17390892

[3]https://fr.wikipedia.org/wiki/Ultralibéralisme

[4]http://www.cnrtl.fr/definition/libéralisme

[5]https://www.contrepoints.org/2010/10/30/5735-qu’est-ce-que-le-liberalisme-classique

[6]http://www.toupie.org/Dictionnaire/Minarchisme.htm

[7]https://www.wikiberal.org/wiki/Anarcho-capitalisme

[8]Edouard Philippe, Des hommes qui lisent, 2017.