Quelles marques se cachent derrière les YouTubeurs et autres stars d’Instagram ?

Essena ONeill, dix-neuf ans à peine, est une star des réseaux sociaux par lesquels elle s’est fait connaitre en quelques années seulement, notamment via ses comptes Instagram et YouTube. Sa vie telle qu’elle apparait sur les réseaux sociaux fait rêver ses milliers d’autres adolescentes, qui la voient sur des plages de sable fin porter des tenues de marques à la mode, sur une plastique parfaite. Or, cette jeune « star du web » a choisi de dénoncer publiquement le caractère trompeur de cette vie reflétée sur les réseaux, révélant qu’elle prenait des centaines de clichés pour en sélectionner un à publier, parfois retouché, qu’elle se privait de nourriture pour rester mince mais aussi qu’elle était payée par des marques célèbres pour placer subrepticement leurs produits sur les photos ou vidéos. En bref, son message est clair : ma vie sur Instagram, ce n’est pas ma vraie vie.

Beaucoup ont salué ce geste de courage, d’autres y voient plutôt une opération marketing très maitrisée, la jeune femme ayant simultanément lancé un site web visant à sensibiliser les jeunes à ces questions.

Sans entrer dans le débat de l’authenticité de la démarche, celle-ci soulève la question intéressante du « business » qui se cache derrière ces nouvelles stars du web – des centaines d’autres adolescentes prodiguent des conseils de beauté sur YouTube – et plus particulièrement l’absence de réglementation et de transparence qui règne s’agissant de la question de la promotion et du placement de produits par ces dernières. De nombreuses marques ont en effet vite compris l’opportunité que représentait cette nouvelle forme de publicité déguisée à moindre coût, les jeunes Youtubeuses étant souvent rémunérées par l’envoi de produits gratuits ou des montants peu élevés tant qu’elles n’ont pas atteint un certain niveau de « célébrité ».

En Suisse, pas de réglementation spécifique

Aux Etats-Unis, les risques liés à ce manque de transparence ont été pris très au sérieux par la Federal Trade Commission (FTC). Celle-ci a en effet adopté il y a quelques années déjà des lignes directrices relatives à la promotion de marques sur les réseaux sociaux, en se fondant sur le principe d’interdiction de publicité trompeuse ou fallacieuse. Ces lignes directrices prévoient notamment que lorsqu’un individu est rémunéré ou, d’une quelconque autre manière, bénéficie d’avantages particuliers en échange de sa promotion de certains produits, celui-ci doit en principe en faire état et le mentionner à ses abonnés. Cette mention peut se faire par un simple mot contenu dans la publication, comme les termes « Publicité », « promotionnel » ou encore « contenu sponsorisé », la règle étant que l’utilisateur doit pouvoir reconnaitre le fait que le tweet, statut ou autre publication est un acte promotionnel rémunéré. En plus de cette obligation de transparence, les lignes directrices de la FTC rappellent que ces publications sponsorisées sur les réseaux sociaux ne doivent pas être trompeuses quant au contenu. Certaines célébrités se sont ainsi fait rappeler à l’ordre à plusieurs reprises pour ne pas avoir respecté ces règles de transparence ou pour avoir prêté des vertus à certains produits, notamment des produits de beauté ou des médicaments, sans aucun fondement pour de telles déclarations ni de mises en garde suffisantes.

En Suisse, il n’existe pas de réglementation spécifique portant sur cette forme de publicité. Le conseil fédéral s’était penché sur la question lors de son analyse générale du cadre réglementaire des médias sociaux, et avait relevé le risque de manipulation de la formation de l’opinion des consommateurs par ce type de pratiques. Dans ce contexte, les limites légales sont posées par la loi fédérale contre la concurrence déloyale ; ainsi, une publicité dissimulée ou la tromperie quant au caractère publicitaire de pratiques influant sur les rapports de concurrence seraient sans doute constitutives de comportement déloyal. De même, une publicité mensongère ou trompeuse serait illicite au sens de cette loi. Cependant, si l’auteur du tweet, de la photo ou de la publication concerné n’annonce pas qu’il a été rémunéré, sous quelle que forme que ce soit, pour faire la promotion du produit, il sera difficile d’établir l’existence d’une tromperie quant au caractère publicitaire de la publication, limitant ainsi la possibilité d’agir contre ce genre de pratique.

La Suisse a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas sur-réglementer l’usage des médias sociaux, et il est donc peu probable qu’une nouvelle législation soit adoptée pour faire face à ce problème, mais il n’est pas à exclure que des dénonciations publiques de pratiques peu transparentes du type de celle d’Essena ONeill mènent à l’adoption de bonnes pratiques non contraignantes dans le domaine.


Photo: la Youtubeuse française Marie Lopez – EnjoyPhoenix / AFP

Juliette Ancelle

Avocate passionnée des questions d’innovation et de l’influence que celle-ci peut avoir sur notre système juridique, Juliette Ancelle, associée au sein du cabinet id est avocats, pratique depuis plusieurs années dans ses domaines de prédilection que sont la propriété intellectuelle, les technologies avancées, les médias sociaux, la réputation en ligne ou encore le droit du travail. Elle est diplômée de l’Université de Lausanne (BLaw et MLaw) ainsi que de la New York University dans l’Etat de New York, où elle est également admise au barreau, et donne régulièrement des conférences sur les thèmes précités. Elle est notamment l'une des enseignantes dans le cadre du CAS en création d'entreprise nouvellement offert par la HEG, pour enseigner la propriété intellectuelle et le droit en lien avec Internet et les technologies.