Soudan du Sud : Comment l’avidité, la corruption et l’impunité ont créé des milliers de réfugiés et la famine

Ils survivent en se nourrissant d’os de chèvre et de nénufars. La famine est sur le point de touché 4.8 million de personnes au Soudan du Sud si l’aide humanitaire tarde.

La guerre civile qui depuis 2013 oppose la faction rattachée au Président Salva Kiir à celle de l’ex-vice-président Riek Machar devait s’éteindre avec l’accord de paix signé en août 2015. Mais cet été, les combats ont repris à Juba et dans le reste du pays. Les attaques sauvages contre des civils ont provoqué des mouvements de population sans précédent. Durant le mois de septembre 185’000 personnes ont encore fui le pays vers l’Ouganda (143’164 personnes), vers l’Ethiopie (32’000 personnes) et vers le Kenya. Résultat : le Soudan du Sud est le quatrième pays qui, après la Syrie, l’Afghanistan et la Somalie, a dépassé ce seuil de 1 million de réfugiés ce qui révèle la gravité de la situation et l’ampleur des besoins humanitaires. A l’intérieur du pays, le nombre de déplacés internes est encore supérieur s’élevant à 1.6 million de personnes. La plupart des personnes qui ont fui sont des femmes et des enfants victimes d’attaques ciblée et de viols.

 

Bref retour en arrière

 

En juillet 2011, le Soudan du Sud se sépare du Soudan après des années de conflits. Le nouveau pays est rapidement reconnu par la communauté internationale et pour sa première année d’indépendance il reçoit 1.4. milliards d’aide internationale. Des consultants de tout bords sont parachutés dans les services publics, les écoles, les hôpitaux. Mais leurs conseils ne sont pas écoutés et les dirigeants se servent dans la caisse instaurant une corruption de masse à tous les échelons institutionnels. Le 23 juillet 2013, le président Salva Kiir limoge son vice-président Riek Machar de peur qu’il prenne le pouvoir aux prochaines présidentielles (2015). Les premiers combats entre les partisans de Salva Kiir et ceux de Riek Machar éclatent à Juba en décembre 2013.

Cette guerre est d’abord une lutte de pouvoir et d’enrichissement personnel mais elle a un fond de rivalités ethniques car il y a d’un côté les Dinkas (ethnie de Salva Kiir, élevé dans la religion catholique) et de l’autre les Nuers (ethnie de Riek Machar, élevé dans la religion presbytérienne), deux clans qui étaient unis au sein du Mouvement populaire de libération du Soudan dans la guerre d’indépendance.

Ainsi, malgré un accord de paix signé en août 2015 entre les deux factions, les combats et les exactions –viols, enlèvements, recrutements d’enfants, disparitions forcées- ont continué faisant de nombreuses victimes dans la population civile. Depuis le mois de juillet Riek Machar est réfugié et soigné au Soudan. Il a été remplacé par Taban Deng Gai (nouveau Vice-Président).

 

L’avidité et le pouvoir alimentent la violence

 

La violence dans ce pays est d’une barbarie sans nom et tous les ingrédients sont là pour une prolongation soutenue du conflit civil.

L’épisode sordide qui a eu lieu dans un hôtel de Juba en juillet dernier où plusieurs travailleurs humanitaires (dont des expatriés) ont été battus, pillés et violés par des hommes en uniforme appartenant à la garde présidentielle est représentatif de la violence aveugle des factions et n’est pas un bon présage. Encore une fois, la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS) a brillé par sa passivité estimant qu’il n’était pas opportun de venir en aide aux personnes dans l’hôtel.

La situation s’est encore aggravée il y a quelques jours alors que 100’000 personnes se sont retrouvées piégées dans la ville de Yei après une série d’ attaques.

En attendant, les responsables principaux des crimes commis à l’encontre des civils continuent de s’enrichir malgré les sanctions de l’ONU renouvelées au mois de mai. Tout récemment, The Sentry, une unité d’investigation, a publié les résultats d’une enquête de deux ans sur la corruption de l’élite dirigeante au pouvoir. Cette enquête explique comment la guerre a profité à ces personnes et à leurs familles. Le document intitulé « War Crimes Shouldn’t Pay : Stopping the Looting and the Destruction in South Sudan» pointe aussi du doigt les intermédiaires internationaux qui tirent profit du conflit.

 

Quelles solutions ?

 

L’ONU vient de renforcer la mission des casques bleus (MINUSS) avec la participation d’une force de protection régionale, et un mandat renforcé (utilisation de la force) qui devrait lui permettre de mieux appliquer sa mission. Mais la demande du Secrétaire-général Baan Ki-Moon d’imposer un embargo sur les armes n’a malheureusement pas passé la rampe. Pour Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch « la fourniture continue d’armes ne fait que contribuer à alimenter les abus sur une plus grande échelle. »

Bien que les embargos soient difficiles à faire respecter comme on l’a vu au Darfour, il est crucial de le mettre en place rapidement. La Russie, le Canada et la Chine sont répertoriés comme les principaux fournisseurs d’armement entre 2011 et 2014 selon le Stockholm International Peace Research Institute. Il semblerait que ces pays aient cessé leurs ventes mais d’autres pays comme l’Ukraine continueront de profiter de ce marché juteux sans embargo.

Enfin, l’Accord de paix signé entre les parties le 17 août 2015 prévoit aussi l’instauration d’un tribunal hybride chargé de juger les crimes de guerre, les crimes de génocide et les crimes contre l’humanité perpétrés par les parties au conflit. Mais il est difficile d’entrevoir une avancée sur ce volet tant que les responsables de ces crimes tiennent les reines du pouvoir.

Aujourd’hui, les espoirs de paix reposent sur des promesses vagues alors que beaucoup d’armes circulent et des millions sont déversés. Pour les 12 mois à venir, la mission des casques bleus est estimée à USD 1 milliard 81 millions de dollars et les organisations d’assistance aux réfugiés en provenance du Soudan du Sud prévoient de dépenser quelque 760 millions de dollars pour l’année à venir. C’est sans compter les fonds nécessaires au travail d’autres organisations non-gouvernementales comme le Comité international de la Croix-rouge (CICR), Médecins sans frontières (MSF) et Human Rights Watch.

Beaucoup d’observateurs craignent un génocide à l’échelle du Rwanda, d’autres compare la situation à celle de la Somalie. Cela fait longtemps que les discours de haine sont omniprésents dans les médias et sur les réseaux sociaux, mais ce sont les élites dirigeantes qui ont laissé les tensions tribales s’enflammer et qui en ont profité.

Jasmine Caye

Avec une expérience juridique auprès des requérants d'asile à l'aéroport de Genève, Jasmine Caye aime décrypter l'information sur les réfugiés et les questions de migration. Elle a présidé le Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM) et continue d'assister des personnes en procédure d'asile. Les articles sur ce blog paraissent en version courte sur un autre blog ForumAsile.