Oraison funèbre de Barack Obama à Charleston: l’état de grâce

Il venait pourtant d’engranger une victoire politique avec la décision de la Cour suprême des Etats-Unis de légaliser le mariage gay dans tout le pays, au nom de l’égalité des droits. En venant à Charleston pour les funérailles du pasteur Clementa Pinckney, 41 ans, abattu par un jeune blanc suprémaciste en même tant que huit autres Afro-Américains qui étudiaient la Bible dans l’église Emanuel, un lieu de culte symboliquement très fort pour la communauté noire des Etats-Unis, Barack Obama a pourtant tenu un discours en apparence très peu politique. Il a brossé un portrait formidablement empathique du pasteur Pinckney qu’il avait eu l’honneur de rencontrer en Caroline du Sud, un homme de foi dévoué à la communauté et à la chose publique, prompt à mettre en avant les idées des autres avant les siennes. Un homme que le président américain a jugé utile de décrire, après tous les éloges possibles, comme un “homme bon”, a “good man”. “On demandait souvent à Clem (enta) pourquoi il avait choisi d’être pasteur et d’être un politique (sénateur). La personne qui posait la question ne connaissait probablement pas l’histoire de l’église Emanuel.” Une église qui fut bâtie par des esclaves, qui fut brûlée après une tentative de révolte et qui fut reconstruite tel le phoenix qui renaît de ses cendres. Pour le président démocrate, rien n’était plus touchant de savoir que Clementa Pinckney représentait avec toute sa force un district de Caroline du Sud négligé, pauvre et doté d’écoles inadéquates où certains élèves souffrent toujours de la faim ou de ne pas avoir de traitement médical digne de ce nom.

Le ton de la voix, l’osmose avec l’audience de l’église Emanuel qui le portait comme l’un des siens, Barack Obama a donné de sa personne. Il a tenu un discours qui a quasiment valeur de testament de ses valeurs chrétiennes ou morales. Son allocution fut une occasion d’affirmer son identification à une communauté noire qui continue de connaître les répercussions des discriminations passées. Des répercussions qui découlent d’une politique sociale ou du logement discriminatoire du gouvernement fédéral ou local ou de lois Jim Crow qui sapèrent les espoirs nés de la Proclamation d’émancipation d’Abraham Lincoln en 1862 et 1863, en pleine guerre de Sécession. Le professeur de droit de l’Université d’Harvard, qui eut Barack et Michelle Obama comme étudiants, le confiait au Temps en juin de l’an dernier: pour nombre de Noirs, le passé est toujours présent. Si l’accès à la prospérité, à de bonnes écoles, à un logement décent et à de bons emplois reste plus difficile pour les Afro-Américains que pour les Blancs, c’est aussi parce que le passé fait office de boulet qu’on traîne malgré tout.

Barack Obama n’a pas manqué de souligner le rôle de l’église dans la vie des Afro-Américains, un “sanctuaire” pour se remettre des vicissitudes et des souffrances de la vie, un bunker de protection pour les militants des droits civiques dans les années 1950 et 1960. Le président démocrate a ensuite parlé du tueur présumé: “Nous ne savons pas si l’assassin du révérend Pinckney et de huit autres personnes connaissait toute cette histoire, mais il devait certainement être conscient de la signification de son acte. Ce fut un acte qui évoque une longue histoire d’attentats à la bombe, d’incendies criminels et de coups de feu tirés en direction des églises, non pas par hasard, mais en tant que moyen de contrôle, en tant que moyen de terroriser et d’opprimer.”

Inspiré, sensible, prêt à tout révéler ce qu’il avait en lui, Barack Obama n’a pas cédé à l’amertume isolée, sans lendemain. Il a parlé à l’image des familles des victimes qui, dès la première confrontation visuelle avec le tueur présumé, lui dirent, effondrées, qu’elles lui pardonnaient dans un acte de miséricorde inouïe que même d’autres Afro-Américains avaient de la peine à comprendre. “Oh, mais les voies du Seigneur sont impénétrables.” Parlant du tueur présumé, il a ajouté: “Il ne savait pas qu’il était l’instrument de Dieu.” Par ces mots, Barack Obama a voulu montrer que l’acte atroce du jeune Dylann Roof, 21 ans, n’a pas réussi à engendrer un sentiment de haine, mais plutôt à réunir toute une communauté de toutes races, de toutes origines. L’élan de solidarité et d’amour qui a suivi la tragédie de Charleston a ému tout un pays. Pas de révulsion, a ajouté le président, mais de la générosité et même une effort public rare d’introspection.  Si Barack Obama avait pu résumer les événements tragiques de Charleston, il aurait sans doute utiliser qu’un terme: grâce. C’est sur la notion de grâce qu’il a entonné, à la surprise générale, le chant “Amazing Grace” qui accompagna de nombreuses actions du mouvement des droits civiques et dont la chanteuse Mahalia Jackson entonna une version restée mythique.

Au fil des minutes, Barack Obama est devenu de plus en plus impliqué émotionnellement au point d’en perdre un peu la voix. C’est à ce moment qu’il a dénoncé le maintien d’un drapeau confédéré qui ne fait que blesser une partie des citoyens américains, les Afro-Américains, qui ont subi l’esclavagisme et les lois Jim Crow surtout en vigueur dans les anciens Etats de la Confédération. Il est temps d’enlever ce “symbole de l’oppression systématique et de la soumission raciale “tant pour les Noirs que pour les Blancs.” Nous devons tous reconnaître que le drapeau a toujours représenté bien plus que la fierté de notre héritage. (…) Retirer le drapeau de la capitale de l’Etat (de Caroline du Sud) ne serait pas un acte politiquement correct. Ce ne serait pas une insulte aux valeurs des soldats confédérés. Ce serait simplement reconnaître que la cause pour laquelle ils ont combattu, l’esclavage, était une mauvaise cause.” Dans la même veine d’un président qui, après six ans à la Maison-Blanche n’a plus rien à perdre et peut se permettre de se dévoiler au plus proche de lui-même, Barack Obama a dénoncé la discrimination d’un système pénal et carcéral inique, la qualité médiocre de certaines écoles qui empêchent des enfants de bénéficier d’une égalité des chances ainsi que l’absurde culture des armes à feu qui explique en partie les massacres tragiques dans une école primaire, dans un cinéma ou la semaine dernière dans une église.

Les 6000 personnes présentes dans l’église Emanuel ainsi que les commentateurs des chaînes câblées américaines l’ont semble-t-il tous reconnu: Barack Obama a parlé avec le coeur, une sincérité et une passion qui ont fait de son discours un moment de rassemblement national, un moment permettant un début de guérison et offrant surtout une chance de voir les relations interaciales aux Etats-Unis sous un autre jour. Un grand Barack Obama.

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