Marilyn Monroe : une sensibilité et une intelligence innées

Pour la découvrir :  3 livres hors du tapage Netflix

Ai-je vu le film Blonde ? Non. Je fais partie des extraterrestres qui n’ont pas Netflix. Ai-je envie de le voir ? Non. Le film est tiré du roman éponyme de l’immense écrivaine Joyce Carol Oates qui précise au début de son ouvrage : « Blonde est une œuvre de fiction. Si la plupart des personnages de mon livre présentent quelques ressemblances avec les proches et les contemporains de Marilyn, leur description et les événements rapportés sont entièrement le fruit de l’imagination de l’auteur. Il faut donc lire Blonde comme un roman et non comme une biographie de Marilyn Monroe. »

Pour cette raison, il m’a paru important de donner la parole à Marilyn elle-même que l’on laissait si rarement parler, ou à son meilleur ami, l’écrivain et poète Norman Rosten.

Hollywood la broyeuse

Que Marilyn ait été broyée par Hollywood me semble évident. Qu’elle n’ait été qu’un piètre objet dans la machine hollywoodienne me paraît, en revanche, discutable. Jayne Mansfield, formatée pour la remplacer, n’eut que des rôles de vulgaire et ravissante idiote. Elle était pourtant pianiste et violoniste classique, parlait cinq langues et avait un QI de 163. Avant de mourir dans un effroyable accident de voiture, Hollywood la transforma en une actrice déchue et pathétique, alcoolique, et bourrée de psychotropes. Quant à la brillante Hedy Lamarr, star de la MGM dans les années 1930-1940 et inventrice peu considérée de notre incontournable Wifi, elle finit enfermée chez elle, terrifiée par le vieillissement et ravagée par les successives chirurgies esthétiques. Hollywood a également détruit quelques hommes. Je me contenterai de n’en citer qu’un seul : River Phoenix, dont on parle beaucoup ces jours. La mâchoire de l’industrie du film américain a déchiqueté bon nombre de personnes. Nul besoin d’être femme ou imbécile pour se laisser happer par elle.

Un corps et un cerveau

L’essayiste et poétesse britannique Edith Sitwell, avec qui Marilyn Monroe parlait de poésie, écrivit à son propos « Elle était très calme et avait une sorte d’immense dignité naturelle et elle était extrêmement intelligente. Elle était aussi d’une sensibilité maladive… Au repos son visage était par moments étrangement tragique et prophétique, comme le visage d’un beau fantôme ».

Contrairement à Jayne Mansfield ou à Hedy Lamarr, issues de milieux cultivés et privilégiés, qui auraient peut-être pu échapper au chant des sirènes hollywoodiennes, Marilyn Monroe ne connut, durant son enfance, que les orphelinats et les familles d’accueil qui la traitaient en servante. Consciente de manquer de culture, pour échapper à son destin elle ne possédait que son corps. Un corps que son esprit affuté sut savamment utiliser pour fuir l’ignorance et la pauvreté, même si effleurer les étoiles et laisser son empreinte sur le plus célèbre boulevard de Los Angeles lui coûta cher. Mais rien ne nous indique que sa vie aurait été plus heureuse si elle s’était contentée de rester « à sa place » de « pauvre fille» désargentée fruit d’institutions.

Marilyn Monroe : Fragments

Marilyn Monroe aimait la littérature et la poésie. En 2010, les éditions du Seuil, grâce à l’éditeur et écrivain suisse -jurassien- Bernard Comment, publiait les notes et poèmes inédits que l’actrice avait légués à son professeur de théâtre Lee Strasberg. A travers ces écrits pour la première fois dévoilés au public, on découvrait une personne sensible, avide de culture et d’amitiés sincères. Exigeante envers elle-même et travailleuse, les uniques motivations de Norma Jeane Mortenson (son vrai nom) furent de toujours améliorer son jeu de comédienne, de se cultiver et de trouver un équilibre grâce à la psychanalyse. A n’en point douter, elle était une personne très éloignée des rôles d’idiote manipulatrice, vénale et dévoreuse d’hommes qu’on lui prêtait dans les films.

La forme poétique, ou plus largement celle du fragment, lui permit probablement d’exprimer des fulgurances et des sensations ponctuelles. Mais qui voulait vraiment entendre et comprendre cette voix ? Après sa mort, Arthur Miller dira : « Pour survivre, il aurait fallu qu’elle soit plus cynique ou du moins plus proche de la réalité. Au lieu de cela, elle était un poète au coin de la rue essayant de réciter ses vers à une foule qui lui arrache ses vêtements. »

Marilyn Monroe : Confession inachevée

En 1954, l’agent de Marilyn demande au célèbre scénariste Ben Hecht d’aider l’actrice à écrire ses mémoires. A 28 ans, elle compte une vingtaine de films à son actif, et elle est déjà plus que lasse des inventions et des potins que les journaux à scandales colportent à son sujet. Elle dicte ses mots, d’une grande liberté et maturité, au dramaturge qui les retranscrit sur le papier. Pour des raisons personnelles, elle ne terminera pas cette autobiographie qui s’achève comme s’achèvera sa vie : abruptement, au moment où elle se rend en Corée, par un froid polaire, pour chanter devant les soldats américains. Toutefois, l’on y apprend le calvaire que fut son enfance, les problèmes psychiatriques de sa mère, le viol subit alors qu’elle n’a que 8 ans, et comment à 12 ans, alors qu’elle n’est encore qu’une fillette innocente, elle s’aperçoit de la puissance évocatrice de son corps. Sans tabous Marilyn dévoile également ses états d’âme; les dessous cauchemardesques de l’usine à rêves; sa volonté acharnée à devenir une actrice contre vents et marées; comment ce fut une femme qui, la première, commença à la transformer physiquement; sa lutte continuelle pour être considérée en tant que talentueuse actrice et non comme un tapageur objet sexuel décérébré.

Ces textes intimes, bouleversants et féministes, ont été publiés pour la première fois aux États-Unis et dans les pays francophones en 1974.

 

Norman Rosten : Marilyn ombre et lumière

De 1955 et jusqu’au jour de sa mort, le poète et écrivain Norman Rosten et son épouse Hedda furent les plus proches amis de Marilyn. C’est à lui qu’elle donnait à lire ses textes.

« Elle me tendait souvent un bout de papier avec quelques mots dessus et demandait :

– Penses-tu que c’est de la poésie ? Garde-le, tu me diras.

Ou bien elle m’envoyait par la poste une feuille griffonnée, demandant ce que j’en pensais. Je l’encourageais toujours.

Elle aimait la poésie. Elle comprenait, avec l’instinct d’un poète, que la poésie menait au cœur des choses. »

Avec amitié et tendresse, Norman Rosten raconte la Marilyn qu’il connut. Ses hauts, ses bas, ses déconvenues avec le psychiatre qui la suivait, et son plongeon final. Il ne se remettra jamais vraiment de la brutale disparition de son amie. De n’avoir pas compris son appel à l’aide, alors qu’elle et lui, que les tendances suicidaires habitaient aussi, s’étaient promis de s’aider mutuellement si l’un d’eux se sentait sur le point de passer à l’acte.

Les trois livres contiennent de nombreuses photographies de la star.

 

Sources :

– Fragments, Marilyn Monroe, Points, 2012.

Confession inachevée, Marilyn Monroe, Pavillon Poche, Robert Laffont, 2022.

Marilyn ombre et lumière, Norman Rosten, Éditions Seghers, 2022. La couverture du livre illustre cet article. Il s’agit du détail d’une photographie     réalisée par Sam Shaw en 1957.

Blonde, Joyce Carol Oates, Stock, Le Livre de Poche, 2000.

– Wikipédia

Un livre, une vidéo et 2 questions : « Le baiser d’Anubia » le dernier livre de Dunia Miralles

Trouble de la personnalité borderline : témoignage

Une fois n’est pas coutume, c’est dans mon univers que j’emmène aujourd’hui les lecteurs de cet espace. Mon dernier livre, des fragments autobiographiques sur le trouble de la personnalité limite (borderline) vient de paraître. Comme il est difficile, pour un-e auteur-e de parler de soi et de son propre ouvrage, j’ai choisi de publier l’article de l’écrivaine et critique littéraire Bernadette Richard, paru le 28 janvier 2023 dans l’hebdomadaire Le Ô.

Dunia Miralles : une œuvre bousculante

Le dessous des cartes, les arrière-cours de notre société malade, la dope, les petits secrets inavouables, la transidentité, les paumés en tout genre – selon le regard moraliste des citoyens dits raisonnables –, autant de sujets que Dunia Miralles traite dans ses romans.

Au début du millénaire, il avait fallu une *Espagnole pour dénuder dans « Swiss trash », son premier livre, une certaine face cachée de la Suisse, celle de la drogue. Entre les lecteurs qui avaient adoré, ceux qui s’étaient enfin reconnus et les heureux normés qui peinaient à croire que notre patrie propre en ordre abritait de tels cas sociaux, l’ouvrage est devenu culte.

Vaille que vaille, Miralles a poursuivi sa route dans le labyrinthe des mots – souvent des maux pour elle. S’ensuivirent « Fille facile », « Inertie », autres explorations d’univers peu conventionnels, puis le très décalé « Alicante », bilingue français-espagnol, une suite de pensées, de regards, agrémentée d’un CD.

Arrivèrent ensuite « Mich-el-le, une femme d’un autre genre », qui donna lieu à un spectacle émouvant, et « Folmagories », des nouvelles qui sont comme des hommages à Edgar Poe, Oscar Wilde ou encore Stephen King, inscrites (sauf deux) dans le décor des Montagnes neuchâteloises.

Le Baiser d’Anubia : une entrée pour les montagnes russes du TPL

Et voici « Le Baiser d’Anubia », un livre qui pourrait déranger, des pages qui ne laisseront aucun lecteur indifférent : une plongée dans la tête de l’auteure. Audace ? Exhibitionnisme ? Règlement de compte avec cette salope de vie qui ne ménage pas les borderline(s) ? Un peu de tout, principalement sous forme de phrases courtes, entre des perceptions, des souvenirs jetés dans l’urgence sur le papier, et des illuminations esthétiques, historiques, journalistiques, échappées d’une angoisse sous-jacente, celle qui ne permet pas à l’écrivaine de vivre selon les codes sociaux en vigueur.

Une deuxième partie fait office de reportage concernant ce fameux trouble de la personnalité limite, décortiqué avec précision. Miralles évoque également ses rapports difficiles avec les psys. Et, comme un phare bienveillant dans la nuit noire d’une existence difficile, l’amour de son compagnon.

L’auteure s’est longtemps interrogée sur le fonctionnement de son psychisme. Qui suis-je, en fait ? Pourquoi son mental est-il si fluctuant, la privant d’un bonheur facile et accessible à tous ?

Elle y répond – du moins pour le lecteur – à travers cette confession qui bouscule les codes littéraires. Qui sait ? Son témoignage permettra peut-être aux esprits étroits et emplis de préjugés de revoir leurs certitudes. 

 

 Dunia Miralles : l’interview

 Avec cette confession, vous ne craignez pas les commentaires désobligeants ?

Dans tous mes livres, excepté peut-être « Folmagories », je me suis mise en danger. Mais au final, je suis récompensée par la réaction de mes lectrices et lecteurs, concernés par les problématiques que j’aborde. Pour une fois, ils se sentent compris, écoutés et moins seuls. Je sais que j’écris des choses qui peuvent me valoir un retour de boomerang désagréable.

Ça ne vous gêne pas de vous mettre ainsi à nu ?

Ça fait partie de ma démarche littéraire de faire du funambulisme sur le fil d’une épée, en risquant de nuire à mon cheminement d’écrivaine, de nuire à ma réputation de femme, mais je m’en moque. Il est important pour moi de mettre au jour des choses que l’on tient généralement bien cachées.

Célébrités psychoatypiques

Dans  « Le baiser d’Anubia » le lecteur peut aussi rencontrer des célébrités psychoatypiques et neuroatypiques : Jean Cocteau, Billie Eilish, Kurt Cobain, Virginia Woolf, Elon Musk, Gérard de Nerval…

Ci-dessous, une lecture du « Baiser d’Anubia » mise en images par Chingón.

 

Site Dunia Miralles – Ecrivaine : ici

*A noter : je suis née en Suisse et naturalisée depuis 1987.

Source :

– « Le Baiser d’Anubia », de Dunia Miralles, éditions Torticolis et Frères, 2023

– Hebdomadaire Le Ô

Lectures estivales : Rosa, Dolores, Almudena et María un quatuor ibérique

Littérature espagnole : ces femmes qui l’écrivent

Pour passer leurs vacances après deux ans de Covid, Suisses et Européens ont choisi l’Espagne pour principale destination. Mais la péninsule ibérique n’est pas qu’un pays de plages et d’alcool bon marché. Hormis les châteaux, le flamenco et la paëlla, sa culture comprend aussi quelques grands écrivains dont Miguel de Cervantès, Federico Garcia Lorca et plus proches de nous Miguel Delibes ou Carlos Ruiz Zafón. Mais c’est dans les univers de quatre femmes que j’ai envie de vous emmener. Relativement peu connues des lecteurs francophones, ce sont de véritables stars en Espagne et dans les pays hispaniques. Non seulement elles cumulent les bestsellers, mais en plus elles ont un véritable talent littéraire contrairement à beaucoup d’écrivains ou d’écrivaines à grand tirage dont les livres ne savent satisfaire les amateurs de mots et d’intelligence. Une partie de leur œuvre est traduite en français et se trouve facilement en Suisse, en France ou en Belgique. Alors, n’hésitez pas à vous dorer sur une plage ibérique en lisant une écrivaine locale. Et si vous restez proche de vos pénates, voyagez à Madrid, en Cantabrie, au Pays Basque ou dans les méandres de l’Histoire espagnole avec des autrices qui connaissent parfaitement l’âme humaine, la géographie, la politique et les mythes de leur pays. Avec parfois du crime, du mystère, des ambiances noires ou de l’érotisme selon les plumes.

Rosa Montero : la touche-à-tout

Parce qu’elle est moi avons des point communs, Rosa Montero est sans aucun doute ma chouchou. Formée à la psychologie et au journalisme, elle écrit pour le quotidien El Pais depuis 1976. Avec la publication, en 1979, de La Crónica del Desamor – malheureusement non traduit dans la langue de Molière – elle est devenue l’une des écrivaines de la Movida madrilène, ce grand mouvement de libération et de renaissance de la culture qui explosa après quarante ans de dictature. Depuis, elle cumule les publications. L’œuvre de cette touche-à-tout est à la fois érudite, insolite et abordable par chacun. Ses livres se situent dans le passé, le présent ou le futur. Sa plume aborde tous les genres : littérature blanche, polar, thriller, fantastique, biographie, anticipation, journalisme, essai… Rosa Montero écrit également des récits inclassables qui relient son vécu à la vie de personnes célèbres, dont elle lit et étudie les biographies, ce qui rend le tout extraordinairement universel. Pour ma part, j’ai adoré son roman Le Roi transparent dont l’histoire se déroule au XIIe siècle, et L’idée ridicule de ne plus jamais te revoir ou elle raconte la perte de son mari, son chagrin après ce décès et sa reconstruction, tout en nous narrant des épisodes de la vie de Marie Curie. Actuellement, je découvre son dernier ouvrage Le danger d’être sain d’esprit qui paraîtra prochainement en français. Je l’ai acheté compulsivement, yeux fermés, dans un grand supermarché durant un séjour en Espagne, sans lire la quatrième de couverture. D’habitude, je me fournis dans les librairies, mais en le voyant si près de ma main, je n’ai pas pu m’empêcher de le mettre dans le caddie. Qu’elle n’a pas été ma surprise de voir qu’il aborde le même sujet que mon livre à paraître cet automne chez Torticolis et frères. On y trouve les mêmes références et elle en tire quasi les mêmes conclusions. Mon ouvrage sera nettement plus succinct, probablement moins savant et traité différemment, mais ciel ! que d’émotion en y découvrant les similitudes.

Parmi ses livres les plus marquants : La bonne chance, La chair, Des larmes sous la pluie, La fille du cannibale, La folle du logis.

Rosa Montero croule sous les prix et distinctions littéraires, notamment le Premier Prix littérature et journalisme Gabriel García Márquez (1999), le Prix National des Lettres Espagnoles (2017) et le Prix Ulysse pour l’ensemble de de son œuvre (2021). Ce sont les éditions Métailié qui la publient en français. Cliquer ici pour découvrir les livres de Rosa Montero.

Dolores Redondo : polars noirs et mythes fantastiques

Auteure de la Trilogie du Baztán, dont on a tiré trois films réalisés par Fernando Gonzalez Molina (Le Gardien Invisible, De Chair et d’Os, Une Offrande à la Tempête), Dolores Redondo écrit des polars empreints d’une touche de fantastique, et des romans historiques. Grande prêtresse du noir et du mystère, elle nous emmène dans des univers très réels qui soudainement dérapent vers l’étrange avant de revenir au tangible. S’adonnant à la littérature depuis l’âge de quatorze ans, ses premiers écrits s’adressent aux enfants et aux jeunes. Après l’abandon de ses études de droit, elle se lance dans la restauration gastronomique. Elle a travaillé dans plusieurs restaurants et en a possédé un, avant de se consacrer entièrement à la littérature. Après la publication du premier volume de la trilogie, le producteur allemand Peter Nadermann, responsable des films de la saga Millenium de Stieg Larsson, a immédiatement acquis les droits pour une adaptation cinématographique.

Dire que j’ai reçu une énorme claque en lisant la Trilogie du Baztán est un euphémisme. Ces ouvrages sont de ceux qui nous obsèdent, qui nous font détester ce quotidien qui nous empêche de reprendre le livre dont on a été obligé d’abandonner la lecture. A lire aussi : La face nord du cœur, grand prix des lectrices du magazine Elle.

Considérée comme le phénomène littéraire espagnol le plus important de ces dernières années, elle est traduite dans 36 langues.

Dolores Redondo a reçu le Prix Planeta (2016) et le Prix Bancarella (2018).

En français elle est publiée par Stock et Mercure de France. Ce sont les Éditions Gallimard et ses différentes collections de poche qui s’occupent des rééditions. A noter : il est conseillé de les lire dans l’ordre de parution. Livres de Dolores Redondo : cliquer ici.

Almudena Grandes : érotisme et Histoire

Quand, en novembre de l’an passé, Almudena Grandes est décédée à l’âge de 61 ans, une partie de l’Espagne s’est sentie en deuil. En effet, ses œuvres situées entre le XXe et le début du XXIe siècle, qui dépeignent avec une extrême justesse des moments bien précis de l’Histoire contemporaine du pays, ont frappé les Espagnols par leur réalisme et par la fine psychologie des personnages.

Almudena Grandes est entrée dans le monde littéraire en 1989 avec Les Vies de Loulou (Albin Michel), un roman qui relate l’histoire d’une femme qui explore son corps et sa sexualité dans un Madrid remué par la Movida. Vendu à des millions d’exemplaires et traduit dans près de 20 langues, ce roman sulfureux lance sa carrière. Cependant, c’est en 1994 avec Malena c’est un nom de tango (paru en français chez Pocket), qu’Almudena Grandes s’installe totalement dans la littérature. Avec ce livre elle devient une romancière populaire qui produit des bestsellers mais dont le style narratif, foisonnant et complexe est admiré et respecté par le milieu littéraire.

Après quatre ouvrages qui explorent les conflits d’identité de la femme espagnole de sa génération (elle est née en 1960) elle s’est aperçue qu’elle n’avait plus rien à raconter sur le sujet. De cette réflexion naîtra son cycle « Épisodes d’une guerre interminable », une fresque sur la guerre et l’après-guerre civile espagnole, écrite d’après les documents et témoignages parus sur le sujet.

Les romans d’Almudena Grandes donnent une voix à ces personnes invisibilisées par l’Histoire : aux humbles, aux oubliés, aux réprimés et particulièrement aux femmes. Proche amie de Pedro Almodovar, ce dernier dira à son propos : “Une écrivaine phare pour ceux d’entre nous qui veulent connaître notre histoire actuelle et d’où nous venons, ces détails importants que l’Histoire officielle avec une majuscule a tendance à nous voler”.

Considérée comme l’une des plus grandes plumes de la littérature espagnole, elle a reçu vingt-neuf prix et distinctions de son vivant et à titre posthume, notamment la prestigieuse Medalla de Oro al Mérito en las Bellas Artes. Par ailleurs, en mars de cette année, la ministre des transports a annoncé que l’une des plus importantes gares ferroviaires du pays, la Estación de Madrid Puerta de Atocha, sera rebaptisée Estación Puerta de Atocha Almudena Grandes.

Plusieurs de ses livres ont été adaptés pour le cinéma ou la télévision notamment par José Juan Bigas Luna et Gerardo Herrero. Dans leur traduction française ils sont, entre autres, publiés par Grasset et JC Lattès. Livres d’Almudena Grandes : cliquer ici.

Maria Oruña : l’admiratrice de Dolores

Admiratrice de Dolores Redondo, en hommage à cette écrivaine dont je parle plus haut, María Oruña a baptisé Valentina Redondo la protagoniste de sa série de polars. Un seul de ses livres a été traduit au français : Le port secret paru chez Actes Sud.

Née dans la région de Galice, Maria Oruña a exercé pendant dix ans la profession d’avocate spécialisée dans le droit du travail et le droit commercial.

Basé sur divers événements réels, en 2013, elle publie un roman à contenu juridique La mano del arquero ayant pour thème le harcèlement au travail et l’abus d’autorité, écrit pour aider les personnes qui se retrouvent dans une telle situation.

En 2015, María Oruña écrit Le port secret son premier roman policier. Ce livre sera également le premier d’une série qui, en espagnol en comprend déjà quatre. Si vous êtes suffisamment nombreux à réclamer d’autres enquêtes de Valentina Redondo, ses autres ouvrages seront peut-être également traduits.

L’histoire : un jeune Anglo-espagnol élevé à Londres revient à Santander pour transformer en hôtel de charme la vieille demeure héritée de sa mère. Pendant les travaux, les ouvriers exhument le cadavre d’un bébé. Ce thriller nous entraîne dans les secrets de famille, avec pour toile de fond une côte cantabrique sauvage et mystérieuse, balayée par les vents océaniques.

Je vous souhaite un délicieux été en compagnie des plus Grandes d’Espagne. Je vous donne rendez-vous à la fin juillet avec du théâtre plus joué qu’écrit.

Dunia Miralles

Sources

– En-tête : détail de la couverture du roman de Rosa Montero La bonne chance. Photo : Marco Grassi.

Site officiel de Rosa Montero

Site officiel de Dolores Redondo

Site officiel d’Almudena Grandes

Site officiel de María Oruña

JC Lattès

– Wikipédia

 

 

Lectures : d’un passé romancé à un futur dystopique avec Henri Gautschi et Sabine Dormond

Mondes en mouvements

Violent et chaotique, le monde actuel paraît brûler puis s’en aller à vau-l’eau. Peut-être. Ou peut-être pas. Peut-être en a-t-il toujours été ainsi. Le bon vieux temps était-il si bon que l’on veut bien le croire ? Certainement pas le 16ème siècle où nous emmène Henri Gautschi. Et cet avenir qui nous terrifie, sera-t-il aussi angoissant et cruel que le 16ème siècle, ou simplement d’une distanciation glaciale comme décrite par Sabine Dormond ? Nous ne pouvons rectifier le passé mais peut-être reste-t-il encore de belles choses à imaginer pour changer l’avenir peu engageant dans lequel on semble se précipiter. Pour qu’il ne devienne ni aussi intolérant et violent que le 16ème siècle, ni aussi insipide que le futur proche pressenti par l’écrivaine montreusienne, faisons connaissance avec les deux cas de figure.

La fuite des protestants de France

Après La nuit la plus longue – Au temps de l’Escalade, Henri Gautschi poursuit son exploration de l’histoire genevoise avec un deuxième roman Clothilde – Au temps de la Saint-Barthélémy, paru aux éditions Encre Fraîche. Un roman illustré par les dessins de l’auteur.

En 1572, suite à l’onde de choc causé par la Saint-Barthélémy en France, Clothilde et sa famille quittent Bourges et les persécutions qui s’abattent sur les protestants. Dix ans plus tard, à Genève, Clothilde est arrêtée, accusée d’avoir tué un homme. Durant son emprisonnement, redoutant le verdict, elle laisse son esprit parcourir la route de son existence mouvementée. Raconté comme un récit d’aventures dans une langue très actuelle, dûment documenté et référencé, mélange de faits réels et de fiction, ce roman nous rappelle que les mœurs de l’époque n’étaient pas douces. La Genève d’alors est encore loin de devenir la ville pacifique ou sera signée, plus tard, la première convention de la Croix-Rouge. En effet, au 16ème siècle, on y noie dans le Rhône les femmes qui « fautent », on exécute les hommes pour des peccadilles, en méchante touriste la peste réapparaît tous les ans au mois d’août, les femmes n’y ont aucune liberté et les Genevois attaquent souvent les Français des campagnes environnantes.

Clothilde – Au temps de la Saint-Barthélémy : extrait

 

Henri Gautshi : biographie

Henri Gautschi est né en 1949, de père suisse allemand et de mère italienne. Pendant plus de trente ans, il a dirigé son entreprise d’installation de chauffage et enseigné à mi-temps le dessin et la théorie de son métier au Centre professionnel de Lancy. Féru d’histoire et en particulier d’histoire genevoise, depuis sa retraite, il écrit régulièrement des articles pour la rubrique historique du ChancyLien. En 2017, Henri Gautschi reçoit le mérite de la commune de Chancy pour ses recherches. Clothilde – Au temps de la Saint-Barthélémy est son deuxième roman.

 

 

Cara : un futur surnumérisé

Avec son roman Cara, paru chez M+ Éditions, Sabine Dormond a imaginé un proche avenir qui semble tristement réaliste et dangereusement près de nous.

Clémence, une ex-soixante-huitarde, vit coupée de sa famille et cloîtrée chez elle, dans un monde où tout est informatisé. La distanciation sociale est devenu une constante.  Tout s’effectue en ligne y compris les soins à domicile. Par exemple, les pilules sortent d’un ordinateur et les appartements sont autonettoyants. Même âgé et malade, on n’a plus besoin d’autres humains pour survivre, mais une telle vie est-ce vraiment vivre ? Le roman Cara dépeint un univers vautré dans le confort mais pas forcément dans le bien-être, à une époque où les contacts humains sont devenus superflus puisque tous les services sont proposés sous une forme numérisée.

A la veille de Noël, Clémence reçoit un appel de son petit-fils, dont elle n’a plus de nouvelles depuis des années, la vieille dame étant tenue pour responsable d’un drame familial qui a eu lieu autrefois, durant la tempête Lothar. Son petit-fils lui annonce qu’il ira passer Noël chez elle afin qu’elle connaisse sa femme et son arrière-petit-fils qu’elle n’a jamais vus. D’une manière assez inattendue dans le roman, mais qui va dans le sens des cycles qui arrivent, s’en vont et reviennent, l’arrière-grand-mère s’entendra très bien avec son arrière-petit-fils puisqu’ils sont très proches au niveau des idées. En revanche son amie Cara, qu’elle trouve trop envahissante et superficielle, l’agace.

Influenceuse, Cara est pourtant la star de toute une génération, dont Chigiru, une adolescente d’une quinzaine d’années surdouée en informatique. Contrairement à Clémence qui vient d’un autre temps, sa jeunesse l’a rend à l’aise avec la surnumérisation. En revanche, elle peine à trouver sa place parmi les humains. Afin d’éradiquer les discriminations dues au genre, les féministes sont parvenues à abolir la mixité en classe au nom du progrès et de l’épanouissement des filles. Malgré cela, tout n’est pas violet pour les jeunes femmes. D’autres discriminations se sont mises en place. Chigiru vient d’un milieu modeste or, pour être acceptée par ses pairs, il faut le prestige des accessoires et des habits qu’on arbore. N’ayant pas les moyens de suivre le rythme dépensier de ses camarades, elle est moquée et mise à ban.

Cara : extrait

Sabine Dormond : biographie

Écrivaine et traductrice, Sabine Dormond a présidé pendant 6 ans l’Association vaudoise des écrivains. En 2007, elle coécrit avec Hélène Küng, pasteure lausannoise, un premier recueil de contes intitulé 36 chandelles. Depuis, elle a publié sept ouvrages et a participé à quatre reprises au Livre sur les quais à Morges. Ses nouvelles ont fait l’objet de plusieurs lectures radiophoniques. Elle anime aussi des ateliers d’écriture et des tables rondes, et rédige des chroniques littéraires pour le journal en ligne Bon pour la tête.

Elle a également siégé au conseil communal de Montreux parmi les socialistes.

 

Sources :

  •  Éditions Encre Fraîche
  • M+ Éditions
  • Wikipédia
  • Radio Chablais
  • Radio Cité

Éditions Kadaline : la petite maison qui lutte contre la dépression

David Labrava s’exprime en français à Fribourg

David Labrava en couverture du livre Devenir un SON

Pris dans le grand tourbillon mondial qui nous induit un sentiment d’impuissance, nous autres quidams ne pouvons guère lutter contre les crises. En revanche, la lecture peut combattre la dépression. Une bataille contre la morosité, telle est la ligne suivie par les jeunes éditions Kadaline avec des livres parfois plein de romance et de positivité. Mais pas uniquement. Installées à Fribourg, en trois ans et dix-sept publications, elles sont parvenues à faire leur place dans les librairies romandes et françaises ainsi que dans le catalogue de France Loisirs. Elles s’enorgueillissent également d’avoir obtenu les droits pour la traduction en français de la biographie Devenir un SON de David Labrava. Souvenez-vous ! Dans la série américaine à succès Sons of Anarchy, de presque cent épisodes étendus sur sept saisons – la RTS l’avait diffusée dès 2009 – il jouait le rôle de Happy !

Généralistes, les éditions Kadaline ne prétendent pas découvrir le prochain Ramuz ou la prochaine Ella Maillart. En revanche, elles considèrent que chacun doit pouvoir trouver son bonheur dans la lecture. Y compris dans des genres dédaignés par quelques intellectuels comme la fantasy, la romance ou le feel-good. Elles défendent le droit de lire pour se distraire, pour s’échapper d’un monde d’un « sérieux » déprimant. Et que la littérature, tant qu’elle transmet des émotions, reste de la littérature, quel que soit son genre même si, pour d’évidents motifs de marketing, on l’a divisée en catégories afin d’aider les lecteurs à choisir ce qu’ils sont sûrs d’apprécier. Pour Kadaline un succès populaire n’est pas un tabou. Ses objectifs : publier de jolies histoires qui abordent, en toile de fond, des problématiques actuelles. Faire passer aux lecteurs des messages qui peuvent être durs, par des auteurs qui ont des choses à dire, tout en goûtant des moments agréables. Amener à la lecture des personnes dont les livres ne font pas forcément partie du quotidien. Les inciter à lire un classique après l’avoir découvert dans une trame plus actuelle. Dans cet esprit les éditions Kadaline appellent régulièrement à la réécriture d’un classique. C’est ainsi que  sous la plume de Jess Swann, une romancière belge Orgueil et Préjugés, de Jane Austen, est devenu Amour, Orgueil & Préjugés.

Kadaline en trois livres :

David Labrava : l’autobiographie

Devenir un SON, de David Labrava, nous emmène sur une route caillouteuse que l’auteur connaît bien, et dont il a surmonté les obstacles jusqu’à parvenir à la reconnaissance internationale. David Labrava ayant fait partie d’un gang, Devenir un SON est un récit parfois sombre et violent qui s’étend sur plus de quarante ans jusqu’à la rédemption de l’artiste. Ancien membre du club de motards des Hells Angels d’Oakland, David Labrava a obtenu la renommée en incarnant le rôle de Happy dans la série Sons of Anarchy dont il a également été le conseiller technique. Toutefois, en expérimentateur de la vie, il est aussi mécanicien de Harley Davidson certifié, souffleur de verre, tatoueur, producteur, réalisateur et scénariste. Devenu bouddhiste et végane l’ex bad boy, né en 1962, s’est entièrement engagé dans la défense de la cause animale.

Littérature jeunesse

Marie-Christine Horn : une plume acérée pour s’imprégner de l’allemand

Marie-Christine Horn est connue pour ses polars noirs. Après le succès de son roman Le Cri du Lièvre qui traite de la maltraitance faite aux femmes, elle vient de publier Dans l’étang de feu et de soufre, aux éditions BSN press, un brillant polar dont toute la critique salue le suspense et l’originalité. Aux éditions Kadaline, c’est un livre  jeunesse bilingue que l’on trouve d’elle : La malédiction de la chanson à l’envers. Bien que ce soit une lecture totalement adaptée pour les enfants dès 8-9 ans, c’est un récit plein d’émotions rock’n’roll, loin des mièvreries souvent écrites pour les plus jeunes. La traduction en allemand en vis-à-vis permet aux enfants, comme aux adultes, d’apprendre une langue tout en lisant une littérature divertissante et de qualité.

Quatrième de couverture :

Lundi matin, Martin n’est pas venu en classe. Il a disparu ! Le même jour que le célèbre Trash Clash, le batteur du groupe de rock School Underworld… Les amis de Martin soupçonnent un lien entre ces deux disparitions mais aucun adulte ne veut les croire… Alors Ludovic, Nathan, Julien et Line vont devoir mener l’enquête seuls contre les ondes maléfiques de School Underworld.

Romance et feel-good

Amour, bikers et football

Sur la route, de Marilyn Stellini, est une romance feel-good qui se conjugue comme une série semi-feuilletonnante. Pour l’instant deux tranches sont parues : Si je tombe et Mon âme mise à nu. La suite est en cours d’écriture. Marilyn Stellini, qui est une fan de football – pour la même maison d’édition et toujours dans le style feel-good, elle a écrit Talons Aiguilles & Ballon Rond – connaît bien le milieu des bikers où se déroule ses petits livres dans lesquels on entre pour s’évader d’un quotidien triste et morne. Toutefois dans cette série, comme dans ses autres écrits, cette ancienne étudiante en psychologie qui a fini par effectuer des études éditoriales, aime s’adonner à la critique de société. Elle n’hésite pas à aborder des thèmes tels que le burn-out, le stress ou la dépression. Lorsqu’on lui demande pourquoi une femme, avec son niveau d’études, écrit des choses que d’aucuns soupçonnent d’être de la sous-littérature, sa réponse nous éclaire : pour maîtriser ses démons. Pour rétablir un équilibre avec son côté obscur en espérant que cela puisse également servir de catharsis à ses lectrices et lecteurs. Marilyn Stellini est l’auteure de plusieurs romans, historiques ou contemporains, ainsi que de diverses nouvelles parues dans des journaux ou collectifs. Femme engagée, elle est éditrice, fondatrice du Salon du Livre Romand qui se tient à Fribourg – à présent renommé TEXTURES – et présidente du Groupe des Auteurs Helvétiques de Littérature de genre (GAHeLiG).

Quatrièmes de couverture :

Si je tombe…

Emma et Eirik souffrent du même mal. Celui de la société, perfectionniste, axée sur la performance et la réussite… Et tous deux pourraient bien être broyés par le système.

Emma, l’étudiante trop assidue, et Eirik, le DJ-producteur superstar en train de laisser sa peau au capitalisme, prennent tous les deux la route 66, la célèbre route-mère des États-Unis, pour tenter de se retrouver.

Lorsque leurs chemins se croisent, ils prennent conscience que leur salut se trouve dans leur humanité étouffée : leurs failles, leurs faiblesses, leurs peurs et leurs passions. Se faisant le miroir l’un de l’autre, ils se révèlent à eux-mêmes et acceptent de nouveau cette vie qui, parfois douloureuse, peut aussi nous réserver le meilleur.

Mon âme mise à nu

« Elle n’en revint pas. Il avait traversé le désert pour la retrouver.

Elle le toisa, lui, si beau, lui, si arrogant, et eut deux certitudes : elle allait le mener en bateau, et elle allait aimer ça. »

Stéphanie voue une haine féroce aux bikers des Motorcycle Clubs, ces gangs de hors-la-loi en motos qui lui ont pris son frère. Alors, quand l’un deux se met martel en tête de la séduire, elle y voit l’occasion de prendre sa revanche.

Qui sera gagnant, qui sera perdant, dans ce jeu dangereux ?

 

Extraits de Sons of Anarchy avec David Labrava.

 

Livres, éditeurs et auteurs romands : les sacrifiés du confinement (2)

Le combat des éditeurs romands

Lire romand c’est soutenir les éditeurs et les auteurs de proximité, mais pas uniquement. Certes, la crise tout le monde y a droit et, si certains considèrent la littérature comme une chose dispensable, il faut tout de même rappeler qu’elle participe entièrement à l’économie. En effet, sous l’étiquette « NON ESSENTIEL » se cache une réalité très terre-à-terre. La littérature ne se compose pas uniquement d’une bande d’écrivaillon-ne-s qui se regardent le nombril en alignant des mots sur du papier. Elle s’ancre dans un pan de l’économie bien réel : des librairies et des libraires, des imprimeries et des imprimeurs, des éditeurs, des transporteurs, des distributeurs, des représentants, des employés de commerce, des bureaux, du mobilier, des comptables, des locaux de stockage et d’autres pour la vente, du matériel informatique, des juristes, des journalistes, des graphistes, des correcteurs, des apprentis dans plusieurs corps de métiers et j’en passe. Dans la débâcle actuelle, comme dans la restauration, ce sont les plus petits les plus touchés. Surtout ceux qui viennent de créer leur entreprise. Marilyn Stellini, fondatrice les éditions Kadaline en 2019, souligne « Les librairies ont rouvert, mais les embouteillages dans les rayons défavorisent largement les petites structures. Raison pour laquelle Kadaline a suspendu toutes les parutions du premier semestre, reportées ultérieurement. Sans parler du manque de salons littéraires qui peuvent représenter un apport dans le chiffre d’affaires. » Dès le début de la pandémie, les librairies ont prévenu les éditeurs qu’elles ne pourraient pas payer ce qu’elles leurs devaient. Quelques uns ont dû utiliser les aides perçues en tant que salaire pour payer les factures courantes de leur maison d’édition (locaux, chauffage, électricité, etc). Résultat : certains, sont sans salaire depuis plusieurs mois alors que, même en temps “normal” l’édition romande ne permet guère de remplir un bas de laine. Autre effet boule de neige : actuellement les éditeurs suisse romands croulent sous les retours des libraires. Les fermetures imposées aux commerces dit “non-essentiels”, ne leur ont pas permis de vendre les livres parus durant les deux confinements. Andonia Dimitrijevic, directrice des Éditions L’Âge d’Homme précise : « Les éditeurs vivons sur les mises en vente. Sans mise en vente cela devient hardcore. De plus, pour ceux qui avons également des stocks et une partie de nos affaires en France, c’est très compliqué. Nous ne pouvons plus aller à Paris ou nous déplacer comme nous devrions le faire pour que notre entreprise fonctionne normalement. Les librairies font de nouveau d’excellentes ventes, mais les librairies ne représentent pas à elles seules le monde du livre. Vendre du livre ou le produire ce n’est pas du tout la même chose. Pour les éditeurs romands la situation reste bloquée. En ce moment, nous manquons d’argent pour tout. Notamment pour engager le personnel dont nous aurions besoin pour relancer nos entreprises ou pour publier de nouveaux auteurs. A l’Âge d’Homme, ces prochains mois nous ne pourrons pas publier tous les livres que nous avions prévu et aucun premier ouvrage. Nous n’allons travailler qu’avec des auteurs dont les libraires et les lecteurs connaissent déjà le travail. » Une situation assez ironique alors que la plupart des éditeurs sont submergés sous les premiers romans, le confinement ayant inspiré de nouvelles vocations d’écrivains. Les genres qui ont inspiré celles et ceux qui se sont lancé dans la littérature : la science-ficition et les romans d’anticipation. Toutefois, ces nouveaux arrivants devront s’armer de patience avant de voir leurs romans publiés. Si toutefois un jour ils sont publiés. Actuellement, la majorité des éditeurs en sont surtout repousser les parutions qu’ils avaient prévues pour 2021, tout en anticipant qu’il y aura pléthore de publications dans les prochains mois. Déjà, ils s’attendent à ce que beaucoup d’entre elles passent à la trappe faute de place dans les rayons des libraires. En sont à prévoir qu’il y aura un manque à gagner et qu’ils devront gérer cette donnée. Ces réalités les éditeurs suisses romands, petits ou à peine plus grands, les affrontent depuis le début de la pandémie. Une situation qui risque de perdurer les mois à venir face aux géants de l’édition hexagonale qui, sans prendre de risques, vont envahir les rayons des librairies avec des ouvrages de développement personnel et des auteurs bankables.

 

Livres romands présentés en 2020

La semaine passée j’ai publié une partie de la liste des auteurs suisses romands dont j’ai présenté les livres en 2020. En voici la deuxième et dernière partie. Lire local, c’est non seulement permettre à la littérature suisse d’exister. C’est participer à l’économie de nos cantons.

 

A l’aube des mouches, poésie, Arthur Billerey, éd. de L’Aire : un recueil de poèmes par l’un des fondateurs de la revue littéraire romande La cinquième saison. Passionné par les mots écrits, Arthur Billerey a également créé la chaîne Youtube Trousp, entièrement consacrée au livre.

Fleurs imaginaires , poésie, Corinne Reymond, éd. Torticolis et Frères : avec empathie et tendresse, Corinne Reymond rend hommage aux personnes happées par l’âge ou la maladie.  Sa longue carrière d’aide-soignante aux soins à domicile, en EMS, à l’hôpital ou en hôpital psychiatrique, l’a menée à écrire ses expériences avec les patients. Dans son métier, plus que les soins, ce qu’elle recherche c’est le relationnel, le contact avec les gens, apprécier qui ils sont, sentir leurs états d’âme, se pencher sur l’histoire de leur vie. “Plus on devient âgé, plus ça devient riche” dit-elle. Une richesse qu’elle n’a pas voulu laisser perdre.

Balles neuves, roman, Olivier Chapuis, éd. BSN Press : malgré l’amour de son épouse, de sa fille et de son fils, Axel Chang éprouve une jalousie et une haine grandissantes envers Roger Federer à qui tout réussi. Une obsession qui le conduit à la dérive. Un récit peu conventionnel, Axel Chang étant le personnage d’un tapuscrit imaginé par un auteur en mal de reconnaissance, agacé par les succès du sportif d’élite devant qui toutes les portes s’ouvrent pendant que lui croupit. Conseillé et coaché par un écrivain mondialement célèbre, le créateur d’Axel Chang poussera son histoire jusqu’à ses extrêmes limites.

Dernier concert à Pripyat, roman, Bernadette Richard, éd. L’Âge d’Homme : dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, eut lieu dans l’ex-Union Soviétique, dans la centrale nucléaire de Tchernobyl, l’accident atomique le plus dévastateur de l’histoire. Une hécatombe qui a coûté l’existence de milliers de personnes et péjoré la vie d’autant de survivants. Passionnée par la question nucléaire, la journaliste et romancière Bernadette Richard nous emmène dans la Zone interdite de Pripyat. Le livre raconte l’histoire de trois jeunes garçons qui fuient de chez eux en compagnie d’une vieille dame la nuit de la catastrophe. Quelques années plus tard, les trois compagnons deviennent stalkers. Défiant les dangers de la contamination, ils pénétreront régulièrement dans La Zone interdite, non seulement pour l’explorer, mais aussi pour lui rendre ses lettres de noblesse à travers la musique. Au cours de leurs expéditions, ils rencontreront tous les réprouvés et désœuvrés du système soviétique.

Roman de gares, roman, Jean-Pierre Rochat, éd. D’Autre part : Dèdè est obligé d’abandonner sa ferme dans le Jura bernois après cinquante ans de labeur. En plein hiver, il part sur les routes accompagné d’un jeune âne. Avec son équipage, il espère descendre, à pied, dans le sud de la France en s’arrêtant de ferme en ferme pour y trouver assiette et logis selon la coutume des journaliers d’autrefois. Empreint de tradition et de souvenirs bienveillants, Dèdè s’imagine que les paysans lui ouvriront leur porte comme lui-même ouvrait la sienne quand il possédait sa propre demeure. Il doit déchanter. Par chance, deux femmes exceptionnelles croiseront son chemin.

Soupirs du soir, roman, Jean-Michel Borcard, éd. Torticolis et Frères : dans un style cinématographique, les péripéties de deux anciens dératiseurs : l’alcoolique, plutôt de droite, Carl Meinhof et l’antifa Joseph Miceli ouvrier dans une scierie. Malgré leurs différences, les deux hommes cultivent une amitié qui ne se dissout dans aucun liquide. Si on ne reconnaissait pas Bulle et sa région, on imaginerait les ambiances décrites dans la campagne du Maine ou dans une petite ville du Montana. Le roman exhale les milieux ruraux et alternatifs, la sueur du travail manuel, le bois fraîchement coupé dont on fabrique les flûtes douces et parfois les cercueils, les vapeurs d’essence, le sang d’abattoir et même les effluves de l’amour.

Les Enfers, roman, Patrick Dujany, éd. Torticolis et Frères : pas loin d’un village au doux nom luciférien, au cours de l’une de ces fameuses torrées comme on n’en fait que sur les crêtes et les flans du massif du Jura, quatre membres de Burning Plane, un groupe de death-metal-core, agrémentent leurs saucisses de champignons hallucinogènes. Pour améliorer le goût de la forestière cuisine, ils l’arrosent de trop d’alcool. C’est au milieu de cette débauche culinaire qu’apparaît Satan. Aux quatre gastronomes, il propose de devenir un groupe de rock mondialement connu, à condition qu’ils lui vendent leurs âmes.

Les choses gonflables, roman, Miguel Angel Morales, éditions Torticolis et Frères : Miguel Angel Morales s’est distingué en fondant le collectif Plonk & Replonk. Mais pas uniquement. Pendant longtemps, il a tenu les chroniques rock du feu quotidien L’Impartial et animé des émissions pour RTN. Les Choses Gonflables ne se résument pas. Elles se lisent. Le récit se déroule, au départ, dans un monde étrange qui ressemble à une parodie du nôtre. Un endroit où vivent les Ploucs et les Beaux. Puis, peu à peu, on change de plan comme si les personnages se promenaient d’univers en univers, dans des mondes parallèles qui se superposent.

Éditions SUR LE HAUT : une petite maison à mille mètres

Dans les Montagnes hors des sentiers battus

De nos jours, les manières d’éditer sont nombreuses et diverses d’autant qu’Internet offre maintes possibilités. Acteur politique et culturel dont la réputation n’est plus à faire dans le canton de Neuchâtel, le chaux-de-fonnier Daniel Musy a créé, en compagnie de ses deux amis Pascal Kaufmann et Jean-Marc Leresche, une petite maison d’édition avec une charte particulière. Ça ressemble à de l’autoédition, et pourtant non, ce n’est pas vraiment de l’autoédition. Le principe : publier gratuitement le manuscrit sur le site des Éditions SUR LE HAUT après l’approbation d’un comité de lecture. En cas de publication papier, les frais reviennent à la personne qui l’a écrit. L’auteur-e accepte que la couverture soit faite par une agence de graphisme et une imprimerie des Montagnes neuchâteloises partenaires de la maison d’édition. La distribution de l’ouvrage se fait par l’ORIF, dont les différents sites de Suisse romande forment, orientent et intègrent des personnes en difficulté dans l’économie. Mais avant l’interview de son fondateur, découvrons deux des livres que SUR LE HAUT a édité.

 

Semaine sainte : Des Rameaux à Pâques de J.-M. Leresche

Les années comportent leurs cycles et les cycles leurs rituels. Publié vers Pâques 2020 durant le premier confinement, en cette Semaine sainte 2021 le récit de Jean-Marc Leresche a retenu mon attention. Des Rameaux à Pâques est un recueil de narrations quotidiennes. Sur un ton actuel, le lecteur est invité à suivre les personnages qui occupent l’arrière-plan des textes bibliques. Qu’ont-ils perçu ? Ont-ils compris ce qui se tramait ?

Extrait :

Pour obtenir gratuitement le texte en entier, cliquez la fin de cette phrase pour le télécharger depuis  la page qui va s’ouvrir. Vous pourrez ainsi découvrir les tableaux de Myriam Leresche qui l’illustrent.

 

Biographie de Jean-Marc Leresche

Jean-Marc Leresche

Après l’obtention de la maturité au début des années nonante, un peu par hasard, Jean-Marc Leresche commence à donner des cours de soutien scolaire à des élèves en difficulté ainsi que des leçons d’initiation à l’informatique. Il travaille également comme écrivain public. Les circonstances de la vie l’amènent à prendre une nouvelle orientation professionnelle, en choisissant la théologie. Il devient diacre de l’Église réformée. Aumônier dans des institutions pour personnes âgées pendant plus de dix ans, il l’a aussi été auprès de personnes marginalisées. Il a également animé un groupe de jeunes. Maintenant, il est diacre dans la paroisse réformée de La Neuveville.

 

Etienne Farron : un psychologue au service d’un artiste

La vie – pas toujours ! – facile de François Egli est un ouvrage du psychologue Etienne Farron qui s’est penché sur les péripéties de son ami d’enfance François Egli. Il s’agit d’une retranscription romancée, une fiction délirante écrite à partir d’une série d’interviews effectuées avec François Egli, un artiste plus connu à l’étranger qu’en Suisse. Le tour de force : transformer 350 pages d’interviews en un roman d’une dimension raisonnable. Dans ce récit, François Egli s’exprime sur un ton libre et gouailleur mêlant fiction et réalité. Véritable personnage de roman, l’artiste a très tôt tourné le dos à la vie bien trop réglée qui lui était réservée pour s’engager sur les chemins sans concession – ou presque ! – de la liberté. Ainsi, « celui qu’on traite d’artiste », parfois d’une manière un peu péjorative, nous emmène des plus fascinants paysages espagnols aux coulisses agitées des ventes aux enchères. Un livre où l’on croise également quelques personnalités bien senties et parfois célèbres. Une existence faite de hauts et de bas qui nous conduit dans le monde de l’art, avec ses richesses artistiques ou monétaires et, parfois, sur des rivages un tantinet plus obscurs. Sur le site de l’éditeur les éloges enthousiastes, concernant ce premier ouvrage, ne manquent pas.

Extrait :

« Il nous sort de derrière une commode un tableau emballé dans du papier kraft, mais vraiment caché derrière la commode. Il nous sort le machin, un tableau de Vallotton. Une pure merveille. Mais une pure merveille. De très longs arbres avec le tronc nu, effilés, un fond pastel, … , mais un truc extraordinaire. Un truc extraordinaire qui est dans le catalogue Vallotton. Il dit « j’en veux deux cent mille balles. J’ai besoin de deux cent mille balles, j’en veux deux cent mille balles. »

On trouve La vie – pas toujours ! – facile de François Egli en librairie. Vous pouvez également le commander directement chez l’éditeur. En cliquant sur la fin de cette phrase, vous pourrez téléchargez gratuitement le texte entier sur la page qui va s’ouvrir. Pdf et livre contiennent également les photographies des œuvres de François Egli.

Etienne Farron

Biographie d’Etienne Farron

Etienne Farron, né en 1964 à Neuchâtel (Suisse) est psychologue du travail. Élève de l’écrivain Jean-Pierre Monnier, hormis l’écriture, on trouve parmi ses passions les relations humaines et l’écologie. Bien que cela puisse paraître contradictoire, c’est un amateur et un adepte de la course automobile qu’il pratique encore à l’occasion.

La nécessité d’un circuit court dans le monde à venir

L’interview de Daniel Musy :

– Comment sont nées Les Éditions SUR LE HAUT ?

En août 2019, après avoir publié à mes frais ma petite fiction politique, Typhons sur l’hôtel de ville, pour laquelle j’avais créé un site internet, j’ai eu l’idée de ce site d’édition d’auteurs de l’Arc jurassien. J’ai tout de suite rencontré plusieurs « écrivants » intéressés qui n’auraient eu aucune chance de voir publier leurs textes dans une maison traditionnelle. Ils sont devenus des amis et nous formons un solide comité éditorial. Une graphiste amie et maintenant partenaire des éditions, Joanne Matthey, a créé le logo et l’imprimerie Monney, à trois cents mètres de chez moi, a été d’accord de se lancer dans l’aventure.

– Faut-il vivre dans l’Arc Jurassien pour publier aux Éditions SUR LE HAUT?

L’Arc jurassien va de Genève à Bâle et de Montbéliard à Lons-le-Saunier ! Nous n’avons aucune ligne éditoriale particulière fixée d’avance et accueillons chacun qui présente un projet de fiction, de témoignages, de poésie et de tout autre genre. Un projet qu’il désire voir se matérialiser dans « son » livre.

– Si ce n’est pas de l’autoédition cela y ressemble. Vous avez été professeur de français, de philosophie et d’histoire de l’art. On ne peut pas douter de la qualité des livres publiés. Toutefois la démarche sort de l’ordinaire et dans le milieu littéraire, ou de l’avis de certains lecteurs potentiels, elle pourrait paraître amateur. Est-ce une manière d’affirmer le côté anarchiste – dans le sens militant du terme -, le refus d’entrer dans le moule dont les Chaux-de-Fonniers sont parfois si fiers ?

La différence avec l’autoédition est qu’avec nous l’auteur est conseillé et accompagné dans son projet. Certes, il prend en charge les frais d’impression ainsi que le graphisme de la page de couverture mais le site l’accueille gratuitement. C’est pour échapper au modèle professoral d’un professionnel de l’enseignement que je consacre une petite partie de ma retraite à cette activité. Oui, je suis « amateur » de belles rencontres avec des gens qui veulent publier « leur » livre à eux, défenseur de proximité entre eux, la graphiste, l’imprimerie et les Éditions SUR LE HAUT. Si entrer dans le moule de certains éditeurs romands c’est faire imprimer ses livres dans les pays de l’Est, alors oui nous sommes fiers qu’ici à La Chaux-de-Fonds nous puissions sortir du « milieu », si milieu il y a. Et entrer dans une nouvelle logique de « circuit court », si nécessaire dans le monde à venir.

– Par quel biais vos livres sont-ils diffusés ? Peut-on les acquérir à Bulle, Orbe ou Thônex ?

Jusqu’ici toutes les demandes de librairies romandes sont relayées aux auteurs qui leur envoient leurs livres. Pour les prochaines publications, nous mettrons en place, pour les auteurs qui le souhaitent, une petite structure de distribution en collaboration avec l’ORIF de La Chaux-de-Fonds (Organisation romande d’intégration et de formation), qui diffuse aussi les ouvrages des Éditions La Salamandre.

 – Parlez-nous des auteurs et des ouvrages publiés.

Je veux mettre en avant quelques ouvrages parus en 2020, qui donnent la parole à ceux qui, sans les Éditions SUR LE HAUT, ne l’auraient pas eue : Une enfance à Shangaï ou les souvenirs d’enfance d’Edgar Tripet, ancien directeur du Gymnase, racontés par Claude-Eric Hippenmeyer ; la vie, pas toujours facile, d’un artiste-galeriste-bourlingueur, François Egli, racontée par lui et mise en forme par son ami Etienne Farron ; les souvenirs posthumes des balades avec sa cousine de PascalF Kaufmann, paysan-écrivain, publiés par sa famille ; le premier volume des Mémoires des Montagnon-ne-s consacré au popiste hockeyeur et voyageur Charles De La Reussille, par l’ancien journaliste Robert Nussbaum. Avec la publication de ces quatre livres s’esquisse, il faut le souligner, un axe éditorial possible pour la suite. Valorisons aussi Jean-Marc Leresche, un réformé engagé et « connecté ». Il a publié notamment un roman original, Mattaï : c’est l’histoire imaginée du 13e apôtre !

– Membre du parti socialiste depuis 2001, vous avez siégé au Conseil Général de La Chaux-de-Fonds de 2004 à 2016. Vous avez présidé ce Conseil de février à mai 2016. Les Editions SUR LE HAUT sont-elles ouvertes à tous les courants politiques et de pensée ?

Dans la charte qui lie les auteurs à nos éditions, nous demandons à ceux-ci de « respecter les personnes sous toutes les formes ». Nous ne tolérerons pas tout ! Comme le dit Popper, la tolérance a ses limites. Si nous acceptons que l’intolérance soit tolérée, nous détruisons alors la tolérance et l’État de droit.

– Une question que je pose aux personnes que j’interviewe : à quel personnage littéraire vous identifiez-vous ? Ou quel personnage littéraire auriez-vous aimé être, et pourquoi ?

Ignacio Abel, le héros de Dans la grande nuit du temps, de Antonio Muñoz Molina. Il a été créé par un écrivain extraordinaire de quarante-cinq jours plus âgé que moi. Il voyage dans le temps, matière même de l’écriture romanesque et élément constitutif de nos identités.

 

Daniel Musy tient aussi le blog Mille Tableaux

Sources :

  • Les Éditions SUR LE HAUT
  • RTN
  • Mille Tableaux, le blog de Daniel Musy

 

 

 

Jean-Michel Borcard : « Soupirs du soir » un fumet de littérature américaine à Bulle

Les Éditions Torticolis et Frères : invitation à un Noël décapant

Pour les personnes qui abhorrent les contes de Noël et les sucreries proposées à ces dates, j’ai déniché trois lectures ébouriffantes aux Éditions Torticolis et frères. Ces éditeurs se décrivent eux-mêmes comme “sérieux, sympathiques et persévérants”. Sans ligne éditoriale, ils ne publient que leurs coups de cœur littéraires à condition que les auteurs leur semblent amicaux. Au grand jamais, ils n’éditeraient Nothomb ou Houellebecq, aussi talentueux et connus soient-ils, si Les Tortis, (comme on les appelle dans le milieu), venaient à les percevoir imbuvables. Houellebecq et Nothomb pourraient les supplier à plat ventre (ce qui, ma foi, m’étonnerait tout de même un tantinet) qu’ils refuseraient leur prose s’ils les pressentaient suffisants ou malveillants. Décidés à déboulonner ce qu’ils appellent « la littérature ornementale », Torticolis et Frères sortent avec le même bonheur des essais de journalistes, que de la fantasy, que la délicate poésie de Corinne Reymond ou d’Anne-Sophie Dubosson, que des nouvelles d’un style classique ou des romans totalement déjantés. Avec eux chaque parution est une surprise. Pour exorciser cette odieuse année 2020, ils la finissent en apothéose en publiant trois fous furieux inspirés. Aujourd’hui, je vous présenterai le fribourgeois Jean-Michel Borcard, digne héritier de Frédéric Dard et de Charles Bukowski. Demain, le troublion de la RTS Patrick Dujany alias Duja, nous proposera, avec son deuxième ouvrage, une tournée en enfer avec un groupe de death-metal-core. Jeudi, Miguel Angel Morales, fondateur du collectif Plonk & Replonk, nous emmènera dans l’univers des Ploucs et des Beaux. Avec ces trois livres, vous passerez un Noël et un Nouvel-An sans masque médical, ni gestes barrières, ni alcool hydraulique – mais peut-être avec une caisse de bière -, dans des mondes souterrains qui se moquent de la distanciation et du politiquement correct. Trois livres délirants qui, par coïncidence, se relient entre eux : dans Les soupirs du soir  Jean-Michel Borcard se réfère à Les Ecorcheresses, le premier roman de Patrick Dujany, alors que celui-ci cite, dans Les Enfers, Bikini Test le club rock chaux-de-fonnier pour lequel Miguel Angel Morales a travaillé.

 

Les trois derniers nés des Éditions Torticolis et Frères.

 

Jean-Michel Borcard : le style américain en pays fribourgeois

Autodidacte de la littérature comme John Fante ou Bukowski qu’il a biberonné pour s’échapper d’une vie qui ne l’a pas ménagé, Jean-Michel Borcard raconte, dans un style cinématographique, les péripéties de deux anciens dératiseurs : l’alcoolique, plutôt de droite, Carl Meinhof et l’antifa Joseph Miceli ouvrier dans une scierie. Malgré leurs différences les deux hommes, vaguement paumés, cultivent une amitié qui ne se dissout dans aucun liquide. Si on ne reconnaissait pas Bulle et sa région, on imaginerait les ambiances décrites dans Les soupirs du soir dans la campagne du Maine ou dans une petite ville du Montana. Le roman exhale les milieux ruraux et alternatifs, la sueur du travail manuel, le bois fraîchement coupé dont on fabrique les flûtes douces et parfois les cercueils, les vapeurs d’essence, le sang d’abattoir et même les effluves de l’amour. Les personnages, hauts en couleurs, nous emmènent dans une suite d’aventures, qui vont de la descente punitive dans un fief fasciste à l’antre d’un baron barjo, en passant par des porcheries. Le tout arrosé d’alcool et enfumé d’opium. Dans Les soupirs du soir, on retrouve les personnages du premier roman de Jean-Michel Borcard L’asile du Baron que je n’ai pas lu mais dans lequel je vais m’empresser de plonger. Par chance, chaque livre peut être lu indépendamment de l’autre. En guise de musique d’avenir, l’auteur nous promet un troisième opus avec les mêmes protagonistes. J’en trépigne d’impatience !

 

Jean-Michel Borcard : extrait de Les Soupirs du soir

“- On a les flics au cul !

Ils se sont retournés.

– Et merde !

J’étais pied au plancher et cette bagnole envoyait ! C’était une BMW, comme les braqueurs de banque je vous dis ! Le bruit du moteur envahissait l’habitacle et participait à la peur. Je tirais chaque rapport dans le rouge. Les aiguilles témoignaient de la folie : on fonçait. A la sortie d’une courbe, on est partis en dérapage dans un crissement de pneus. J’ai contrebraqué. On a failli percuter un abribus. J’avais perdu toute ma vitesse, mais avec la puissance de cette bagnole, j’ai vite retrouvé une cadence de fuyards. Les autres commençaient à avoir peur. Ils s’accrochaient aux poignées comme des petits vieux. J’ai pris une rue qui descendait. On a fait un saut. Les quatre roues ont décollé du sol. Un instant d’apesanteur qu’on a ressenti dans le ventre. A la réception le moteur a tapé sur la route. Ça a dû provoquer des gerbes d’étincelles.

– T’as pété le carter !

– On va serrer et se retrouver comme des cons.

Il fallait continuer et ne pas se laisser démoraliser. D’ailleurs, j’avais distancé les flics, je n’apercevais plus leurs feux bleus dans le rétroviseur. Je me suis d’abord réjoui avant d’en déduire que c’était suspect : ils devaient nous attendre plus loin pour nous barrer le passage. Et qu’est-ce que je pourrais faire ? On ne fonce pas sur la police ! J’essayais de ne pas y penser. Sur la route de Bourguillon, on volait littéralement. On volait. Un avion au ras du sol. Les phares qui perçaient la nuit. Le défilement du bitume. L’intimidation des arbres.

Au bout de la ligne droite, on a plongé dans une suite de virages.

– On est raides cette fois ! a prédit Trotsky.

Il avait peut-être raison. On a glissé de l’arrière. Le talus semblait nous attendre. Je jouais du volant pour nous maintenir sur la route. Plus un mot. La peur. Le roulis de la voiture menaçait de nous envoyer dans une série de tonneaux mortels à coup sûr. Je nous fabriquais des souvenirs qui allaient nous réveiller la nuit.

-Ralentis ! a gueulé Christopher, c’est juste après la vieille grange (il était venu repérer une planque quelques jours auparavant).

J’ai planté les freins et j’ai viré sur un chemin de terre. Les cailloux frappaient l’intérieur des ailes. La bagnole bougeait dans tous les sens. Par endroits, c’était défoncé par les tracteurs, c’était bourré d’ornières et d’empreintes de pneus à chevrons. Ça passait en cognant sous les planchers…”

 

Biographie de Jean-Michel Borcard

L’écrivain Jean-Michel Borcard. Photo: Béatrice Del Mastro

Né en 1978, Jean-Michel Borcard n’a que 8 ans quand la vie sans fard le percute à la mort de sa mère. Grâce au soutien de son père et de ses frères, il passe une enfance plutôt heureuse. Il fait ses écoles obligatoires en Gruyère. A l’adolescence, il se vautre sur un canapé pour visionner des centaines de vidéos. Désintéressé par les études et les diplômes, il commence à travailler dans une scierie. Après plusieurs années dans le métier du bois, il le quitte pour faire divers boulots : magasinier, machiniste, déménageur tout en lisant tout ce qui lui tombe sous la main, sans trêve ni répit, presque jusqu’à la folie. Et, en romançant les rencontres qui l’ont guéri de l’ennui et du vide… il écrit, écrit, écrit…  parce qu’il a lu des livres qui lui ont sauvé la vie !

 

Sources:

  • Les soupirs du soir, Jean-Michel Borcard, éd. Torticolis et Frères
  • Éditions Torticolis et Frères

 

 

Mary Shelley : une érudite tragique, amoureuse et féministe

Mary Shelley : la courte durée d’une heureuse jeunesse

Dans la nuit du 16 juin 1816, Lord Byron et ses amis, entre autres Percy Shelley et Mary Wollstonecraft Godwin qui deviendra plus tard Mary Shelley, séjournent à la villa Diodati, à Cologny dans la banlieue de Genève. L’éruption du volcan indonésien Tambora, quelques mois auparavant, provoque de terribles perturbations du climat. De 1816, les documents de l’époque soulignent que ce fut une année sans été. Enfermé dans la maison par les orages qui se suivent, fasciné par le surnaturel, pour se divertir le petit groupe lit des histoires d’horreur. Afin de diversifier les rares activités de cette singulière villégiature, Lord Byron propose qu’ils écrivent chacun une histoire de fantômes. Mary, qui sera la seule à terminer un récit, imagine quelque chose de totalement nouveau en s’inspirant d’un cauchemar qu’elle avait eu. Considéré comme le premier roman de science-fiction lors de sa parution, Frankenstein ou le Prométhée moderne, qui à présent figure parmi les classiques de la littérature, eut certes un succès immédiat mais dut également essuyer quelques critiques peu amènes. Très jeune, l’érudite et innovante Mary Shelley devra affronter les rugosités de l’existence.

Mary Shelley : journal d’affliction

Italie, été 1822. Le poète Percy Shelley traverse le golfe de Livourne à bord d’un petit voilier qu’il vient d’acheter. La mer est agitée. L’embarcation chavire. Le jeune écrivain meurt. Sa veuve n’a pas encore 25 ans. La douleur soudaine, brutale, anéantit la jeune femme déjà durement éprouvée par le décès de trois de ses quatre enfants. Elle entame alors l’écriture d’un cahier intitulé Journal d’affliction. Elle le tiendra jusqu’en 1844. Une œuvre bouleversante, écrite par une femme brisée qui consigne les souvenirs de son amour, de sa souffrance, de sa solitude. Ces pages sont considérées parmi les plus belles de la littérature romantique. Traduites par Constance Lacroix, elles paraissent en 2017 sous le titre Que les étoiles contemplent mes larmes un très bel ouvrage publié par les éditions Finitude. Après une courte jeunesse, exaltante et heureuse, la vie de Mary Shelley ne sera qu’une suite de deuils. Ces drames la plongeront dans une profonde et incurable dépression, d’autant que les personnes opposées à la relation qu’elle a eue avec son défunt mari, lui feront chèrement payer cette passion. Pour survivre elle écrit, étudie, s’attache follement à son fils Percy Florence et s’acharne à faire reconnaître le talent de Percy Shelley, le seul et unique grand amour de sa vie.

Extraits du journal :

17 novembre 1822

La douleur est préférable à l’absence de douleur. Ma peine me rappelle tout du moins que j’ai connu des jours meilleurs. Jadis, entre toutes, je me vis accorder le bonheur. Puisse ce souvenir ne jamais me quitter ! Celui qui passe auprès des ruines d’une vieille demeure, non loin d’une sente déserte et triste, n’y prête pas garde. Mais qu’il apprenne qu’un spectre, gracieux et farouche, hante ses murs, et voilà qu’elle se pare d’une beauté et d’un intérêt singuliers. Ainsi pourrait-on dire de moi que je ne suis plus rien mais que je vécus un jour, et que je chéris jalousement la mémoire de ce que je fus.

Quand le vautour de mon chagrin s’endort un instant sur sa proie, sans que se relâche jamais l’étau de ses serres cependant, je me sens glisser dans une léthargie plus terrible encore que le désespoir.

19 mars 1823

L’étude m’est devenue plus que nécessaire que l’air que je respire. En façonnant mon esprit à un perpétuel questionnement et à un examen systématique, elle offre une alternative bienfaisante au tumulte de mes rêveries. Le contentement que j’éprouve à me sentir maîtresse de moi éclaire ma vie présente, et l’espoir de me rendre plus digne de mon cher disparu m’apporte un réconfort qui adoucit jusqu’à mes heures les plus désolées.

Mary Shelley : des parents philosophes et hors normes

Mary Wollstonecraft Godwin naît le 30 août 1797 à Londres, fille de deux philosophes hors normes et en avance sur leur temps : Mary Wollstonecraft maîtresse d’école, femme de lettres, féministe convaincue, auteure d’un pamphlet contre le système patriarcal Défense des droits de la femme (1792) ,et de William Godwin précurseur de la pensée anarchiste. Anticonformiste, le couple ne vit pas sous le même toit. Dix jours après la naissance de sa fille, Mary Wollstonecraft meurt emportée par la fièvre puerpérale. Mary et sa sœur Fanny Imlay -âgée de trois ans et demi et née de l’union de Mary Wollstonecraft avec le spéculateur Gilbert Imlay– seront élevées par William.

Mary Shelley: une enfant surdouée

Mary a quatre ans quand William Godwin épouse une veuve mère de deux enfants. Avec elle, le philosophe conçoit un fils. William inculque les idées de leur mère à ses filles. Très rapidement Mary se montre exceptionnellement intelligente et passionnée par l’apprentissage de choses complexes. Les enfants vivent entourés des plus grands intellectuels de l’époque à qui leur père ouvre toujours sa porte.

Mary ne suit pas une scolarité habituelle. Son père assure lui-même en partie son instruction en lui enseignant les matières les plus diverses. Godwin a l’habitude d’offrir à ses enfants des sorties éducatives et ils ont accès à sa bibliothèque. Mary reçoit une éducation exceptionnelle et rare pour une fille du début du 19e siècle. Elle a une gouvernante, un professeur particulier, et lit les manuscrits de son père portant sur l’histoire grecque et romaine.

Souvent, elle et sa sœur Fanny, vont lire et étudier au cimetière de Saint Pancras, près de la tombe de leur mère.

Mary Shelley: Percy un amour passionnel et sulfureux

Lors d’une visite que Percy Bysshe Shelley rend à son père, elle tombe éperdument amoureuse du poète. Elle le sait marié mais ne voit pas d’inconvénient à ce que cet homme brillant, qui cumule les problèmes dus – entre autres – à son athéisme, lui fasse du charme. En 1814, à l’âge de seize ans, elle commence une relation avec lui. En sa compagnie, elle quitte le domicile familial et l’Angleterre. Le couple se rend en France et en Suisse. Cette union courrouce énormément le père de Percy. Dès lors, et pendant tout le reste de sa vie, il mettra une énergie incroyable à rendre infernale l’existence de Mary, d’autant qu’il était en mauvais termes avec son fils. Durant ce périple, elle tombe enceinte de son premier enfant. Elle le perdra à sa naissance.

Humiliée, offensée et enceinte, Harriet l’épouse de Percy, peu ouverte à l’amour libre, les suit. Le sulfureux Lord Byron ajoute rapidement à la confusion lui qui, partout où il passe, jette le trouble. Dans The Encyclopedia of Science Fiction, John Clute, n’hésite pas à affirmer que Fanny, la sœur de Mary, était devenue la maîtresse du Lord.

La communauté amicale qu’ils forment avec Lord Byron et d’autres personnes, se dissout après deux suicides : celui de sa sœur Fanny Imlay et celui de Harriet Westbrook, l’épouse de Shelley, qui choisit de se noyer.

Mary et Percy se marient en 1816, après la mort d’Harriet. Trois autres enfants naissent de leur union. Seul le petit Percy Florence survit à l’enfance. Mary Shelley vit la perte de chaque enfant comme une tragédie. A partir de la mort de la première-née, la vie de Mary Shelley ne sera plus qu’une suite de drames dont elle ne se remettra jamais.

A Londres, Percy Shelley s’absente souvent pour éviter les créanciers. La menace de la prison pour dettes, leur mauvaise santé et la peur de perdre la garde de leurs enfants, incite le couple à quitter l’Angleterre pour l’Italie en 1818. Deux de leurs enfants y mourront.

Percy décède avant son trentième anniversaire. Son corps est incinéré mais son cœur a d’abord été enlevé. Mary l’a enveloppé dans une page de poésie. Elle transportera cette relique pendant un quart de siècle, jusqu’à la fin de ses jours. Après la mort de son mari, Mary se bat pour que l’œuvre du poète soit diffusée. Certains chercheurs n’hésitent pas à affirmer que, sans le travail accompli par Mary, Percy B. Shelley aurait sombré dans l’oubli.

Mary Shelley: un talent et une érudition tardivement reconnus

Bien que Mary Shelley ait écrit six romans après le premier ainsi que des récits de voyage, des biographies de personnages historiques espagnols, portugais et français, des nouvelles et des poèmes, aucune des œuvres ultérieures n’atteint la popularité de Frankenstein ou le Prométhée moderne. Ses œuvres percutantes, féministes et innovantes abordent des sujets chers au 20e et 21e siècles. Mathilda (1819) a pour thème l’inceste et le suicide. Cette œuvre est jugée si scandaleuse et immorale, qu’elle ne sera publiée qu’en 1959. Considéré comme le meilleur de sa production, Le dernier homme (1826), roman qu’il faudrait peut-être lire ou relire en ce moment, raconte la destruction de la race humaine, entre 2073 et 2100, par les guerres et la peste. Par ailleurs, l’auteure utilise les biographies qu’elle écrit, souvent très politisées, pour faire avancer la cause féminine comme dans Lodore (1835) son autobiographie romancée. Selon Wikipédia, dans ce roman, l’écrivaine prend position sur des questions politiques et idéologiques, en premier lieu l’éducation des femmes et leur rôle dans la société. Le roman dissèque la culture patriarcale qui sépare les sexes et contraint les femmes à être dépendantes des hommes.

Le 1er février 1851, à l’âge de cinquante-trois ans, Mary Shelley meurt à Londres d’une tumeur au cerveau. Elle est enterrée à l’église St Peter, à Bournemouth.

Selon les biographies romantiques et victoriennes, Mary Shelley aurait sacrifié son œuvre pour soutenir son mari puis, après sa disparition, le faire publier. Toutefois, dans les années 1970, elle est réhabilitée. Dégagée de l’ombre de son époux, elle est à présent considérée comme une précurseure et une écrivaine à part entière. On lui accorde l’invention de la science-fiction, d’avoir amorcé les études de genres et engendré un mythe universel.

Portrait de Mary Shelley par Richard Rothwell (1840). National Gallery Londres.

Sources:

  • Que les étoiles contemplent mes larmes, Journal d’affliction, Mary Shelley, éditions Finitude.
  • Buscarbiografias
  • Campus n°124
  • Wikipédia

Livre collectif : « Tu es la sœur que je choisis » aux Éditions d’en bas

Tu es la sœur que je choisis : féminisme et littérature

Illustration: Albertine

… « Non pas que je sois féministe, bien au contraire, mais je trouvais intéressant d’expliquer un mot auquel on prête tant de versions différentes et contre lequel on a pas mal de préventions, faute peut-être de l’avoir bien compris ». Ces paroles, dites par l’une des femmes parmi les plus libres et libérées du XIXe siècle, l’artiste peintre et poétesse Marguerite Burnat-Provins, commence la préface de Sylviane Dupuis qui introduit le livre collectif Tu es la sœur que je choisis. Paru aux Éditions d’en bas, à l’occasion de la grève des femmes 2019, dont on fêtera le premier anniversaire le 19 de ce mois-ci, et qui faisait suite à la grève de juin de 1991, Tu es la sœur que je choisis rassemble les textes de plus de trente autrices romandes et les dessins de cinq illustratrices.

 

Tu es la sœur que je choisis : littérature et poésie

Cet ouvrage est l’aboutissement d’une initiative du quotidien indépendant Le Courrier. Ce journal genevois avait demandé à des écrivaines un texte littéraire: « Une parole de femme, pas forcément militante (car la littérature ne supporte pas que l’on l’enrégimente) mais portant « sur le sujet des discriminations liées au sexe » ». J’avoue qu’il m’a fallu du temps avant de me décider à ouvrir ce recueil que j’ai avalé d’une traite. Pas pour des questions idéologiques. Plutôt parce que je suis soupçonneuse. Je ne crois pas toujours ce que l’on me dit lorsqu’on tente de me vendre quelque chose. Je craignais d’avoir à lire une sorte d’essai militant, or je ne suis pas toujours d’humeur à lire un essai, encore moins un essai politique. Mais ce livre collectif s’astreint à ce qu’il annonce : des textes d’une grande force littéraire et poétique qui racontent des vies de femme sans tomber dans le militantisme ou l’esprit revanchard. Un livre dont je conseille particulièrement la lecture aux hommes qui souvent, malgré eux, ignorent les problèmes spécifiques que les femmes devons affronter. Quant à moi, comme le rôle que je me suis assigné dans ce blog n’est pas de jouer les critiques littéraires mais de présenter des livres et des auteurs qui me touchent, et que la distanciation commence aussi à me peser, je ne prendrai, en l’occurrence, aucune distance. J’avoue m’être reconnue dans plusieurs textes qui m’ont bouleversée. Yvette Théraulaz m’a même arraché des larmes, m’obligeant à interrompre la lecture que je faisais à voix haute à un proche.

Tu es la sœur que je choisis : ni illuminées ni hystériques

Certaines personnes s’imaginent que les injustices ressenties par les femmes sont l’affaire de deux ou trois illuminées ou de quelques « harpies hystériques » comme disent beaucoup d’hommes croisés sur ma route. En réalité, les injustices faites aux femmes sont très fortement perçues par les fillettes qui ne comprennent pas le pourquoi de ces discriminations et qui se contentent mal « d’un parce que c’est comme ça ». Et ce, depuis toujours. J’ai entendu ma grand-mère dire qu’elle aurait aimé travailler comme un homme plutôt que d’être femme au foyer. Je me souviens de ma mère, me racontant sa contrariété ainsi que l’injustice qu’elle ressentait, lorsqu’elle avait une vingtaine d’années dans le Madrid franquiste de la fin années 1950, pas vraiment un endroit ou fourmillaient les idées féministes, quand ses frères cadets sortaient sans rendre de comptes à quiconque. Par contre, sa sœur et elle, largement ainées, avaient des horaires strictes et devaient fournir la liste des lieux et des personnes fréquentées. Mais à l’usure, elle a fini par plier – oh, de loin pas toujours, heureusement – et je me rappelle de mon incompréhension, quand je la voyais courir tous les midis pour préparer le dîner, après une matinée de travail et avant de repartir à la fabrique, pendant que mon père lisait le journal tranquillement installé dans son fauteuil. Mon sentiment d’injustice. Ma révolte d’être une fille plutôt qu’un garçon. De tous temps, les femmes, et surtout les petites filles que nous avons été, avons eu une conscience aiguë des dizaines d’injustices que l’on nous impose d’un « parce que c’est comme ça, parce que t’es une fille ». Beaucoup d’entre nous finissons par les intégrer. D’autres pas, et ce livre raconte des histoires dans lesquelles chaque femme peut se reconnaître à un moment ou l’autre. J’en conseille la lecture aux hommes pour qu’ils puissent mieux appréhender et comprendre l’univers de leurs mères, sœurs, compagnes ou filles, même si nous sommes toutes différentes et si nos expériences de vie sont diverses. Cependant, parmi ces textes, il y en a probablement un ou deux qui peuvent correspondre au vécu ou aux pensées de l’une de leurs proches.

Tu es la sœur que je choisis: lecture essentielle

Quant aux femmes disons que… le livre porte bien son titre. Chacune – ou presque – pourra se reconnaître dans l’une des histoires évoquées, chacune pourra se sentir la sœur d’une ou de plusieurs autrices.

Pour ma part, j’ai reconnu mes sœurs, dans les interventions d’Yvette Théraulaz, Céline Cerny, Anne Pitteloud, Sylvie Blondel, Odile Cornuz, Amélie Plume et Mary Anna Barbey. J’ai également apprécié une histoire qui ne peut laisser indifférent aucun écrivain ni écrivaine, quel que soit son genre ou ses préférences sexuelles : Bel-Air de Carole Dubuis. Une nouvelle aussi audacieuse que celle de Sabine Dormond qui nous emmène au Vatican faire une demande au Saint-Père.

Mais ce livre, qui navigue entre amour, violence, sexe, tendresse, poésie, révolte, réflexivité et humour, ne se raconte pas. Le raconter le réduirait à “des histoires de bonnes femmes” or, cet ouvrage qui ne s’appesantit guère sur les revendications, est une lecture essentielle. J’insiste: surtout pour les hommes parce que nous les femmes… savons ce que suppose être une femme.

Quant aux 5 illustratrices, dont Fanny Vaucher de qui j’avais déjà parlé en ce lieu ou Albertine, qui vient de recevoir le prestigieux prix HANS CHRISTIAN ANDERSEN 2020 pour l’ensemble de son œuvre, c’est à la fois avec drôlerie et sobriété qu’elles nous font entrer dans la thématique.

Quelques phrases extraites de « Tu es la sœur que je choisis »

« J’ai le droit d’aimer quand il me soulève dans ses bras et que mes pieds ne touchent pas terre ». Marie-Christine Horn

« Il m’a montré que malgré les cases assignées on a, parfois, dans ce qu’on est et dans ce que l’on fait, une part de liberté ». Marie-Claire Gross

« Tu me l’as expliqué, ça ne va pas cette ménopause, ton corps te fait mal et tes fils et ton mari n’y comprennent rien ». Lolvé Tillmanns

« Elle devait changer son bébé, elle ne pouvait pas, elle n’avait plus de mains, elle n’avait que des moignons ». Anne Bottani-Zuber

« Il se penche en enfilant des gants de latex dont le claquement sur ma peau me fait frissonner ». Céline Cerny

« De tout le festival, je n’ai pas su s’il me draguait, tout comme je n’ai pas su non plus si la jeune auteure essayait de me séduire. » Aude Seigne

 

« Elle rejoint son homme autour du plan de travail. » Mélanie Chappuis

« Comme beaucoup de petites filles, je rêve de ma robe blanche. » Rachel Zufferey

Tu es la sœur que je choisis : les illustratrices et autrices

Sources:

  • «Tu es la sœur que je choisis » Éditions d’en bas
  • Photographies : Dunia Miralles. Réalisées à La Chaux-de-Fonds, Neuchâtel et Lausanne.