Et vous, vous optimisez vos processus? Autour d’une pub Swisscom

C’est un peu rageant, mais elle est extrêmement bien faite cette pub Swisscom, «Réalisez aujourd’hui l’avenir de votre modèle commercial». C’est rageant, parce qu’on sent immédiatement que cela doit servir très adéquatement une certaine idéologie économique et sociale. Mais on est séduit quand même. Si vous ne connaissez pas cette publicité, testez-la d’abord avant de poursuivre la lecture de ce blog: https://digital-future.swisscom.ch/fr/#

Que vous en semble? Il s’agit de tester cette publicité, plus que de la regarder et de l’écouter, car vous pouvez être acteur dans cet objet numérique. Il y a quatre étapes, et à chaque fois vous pouvez décider de cliquer ou non sur «Oui, je suis partant», quitter l’animation et vous immergez dans le questionnaire qui vous persuadera qu’avec le numérique, vous avez le profil de l’entreprise qui «se donne de la peine et en a». La perspective est simple et unique: on va faire de vous un gagnant, avec les bonnes cartes en mains, et au diable les perdants du numérique. Les exemples sont bien choisis, utopiques ce qu’il faut mais pas trop: l’ère numérique en entreprise vous tend les bras.

Mais cela cloche pourtant, et fermement. Faites une lecture «genre» et «valeurs» de cette publicité: c’est sans appel. Le fonds des valeurs est celui d’une Suisse du terroir – chalet d’abord -, fondée sur le couple, et où la femme garde sa juste place: la voici maîtresse d’école, infirmière, et, suprême soulagement, un ordinateur la dispense même de conduire afin qu’elle puisse aimablement sourire à d’autres en lieu et place de froisser la carrosserie. Tout est bien qui finit bien: un soixantenaire alerte conclut la série. C’est le maître du jeu, qui a su garder les bonnes cartes en main. C’est vous, en fait, vous qui allez appeler Swisscom pour vous coacher.

Mais le plus pernicieux peut-être est le langage tenu sur l’émotionnel. C’est un nouveau trend, apparemment, en entreprise: intégrer les émotions de ses clients et de ses employés dans son management. Le questionnaire l’explicite via une rubrique «émotion et transition numérique». Vous prendrez bien encore un peu de sentiment pour adoucir votre cocktail de changement culturel? Voilà, on vous a tout dit sur «l’optimisation de vos processus».

On ne perd pas son temps à analyser un tel objet publicitaire numérique, car il permet de devenir davantage conscient de la manière dont les mêmes thématiques – et donc la même idéologie – se retrouvent dans des lieux et personnes apparemment diamétralement opposés à l’armada Swisscom. Par exemple chez le tatoueur «self-branding» Max Büchi, mis en avant dans un article et une vidéo du Temps le 9 décembre dernier. A bien lire et écouter ce qui nous y est dit, celui qui paraît au premier abord incarner une figure particulière, audacieuse et self-made, se révèle un sacré «maître du jeu» numérique, qui n’hésite pas à lier créativité et instrumentalisation: «Ce qui me plaît dans le numérique, c’est qu’il a donné du pouvoir aux créatifs. Grâce à Internet et aux réseaux sociaux, l’anonymat n’est plus une fatalité et l’on peut instrumentaliser quelque chose d’intuitif qui est la conscience de soi», dit-il.

La créativité s’éprouve ici non plus tellement à partir du résultat, mais quant à son processus même. Et rien de plus divertissant que de transformer en produit le «processus qui porte la création» (min 3.28-3.43 de la vidéo YouTube). Dans le fond, c’est tout simple: Max Büchi a optimisé ses processus. Le voilà prêt à être embauché par Swisscom pour leur prochaine pub numérique, non?

Claire Clivaz

Claire Clivaz est théologienne, Head of DH+ à l'Institut Suisse de Bioinformatique (Lausanne), où elle mène ses recherches à la croisée du Nouveau Testament et des Humanités Digitales.

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