Les archives de famille

 

Nous sommes tous les récipiendaires du passé, conservateurs d’occasion, gardiens d’héritages, de souvenirs contraints à des cercles restreints de personnes, détenteurs de documents provenant d’aïeuls devenus légendaires ou tombés dans l’oubli. Et pour ceux d’entre nous dont les passés familiaux se sont évaporés, orphelins de parents et d’une mémoire partagée, adoptés par amour sans plus aucun lien ancestral, cette absence mène parfois à une quête identitaire acharnée.

Quel trésor dès lors que des archives de famille ! Bien souvent modestes et trop intimes pour dépasser les frontières de quelques cousins, ces témoignages historiques peuvent en certaines occasions receler de véritables sources d’informations intéressant plus loin que la tribu des tantes et des marraines. C’est le cas, ainsi, de cet album de cartes postales militaires datant de la Première Guerre mondiale que Madame C. ouvre devant les yeux d’historiens suffisamment curieux et pas encore blasés pour avoir pris le temps de se déplacer.

Là, sur ces quelques centimètres carrés de papier portant des images et des photographies approuvées par la censure officielle de la Grande Muette, s’enroulent des mots écrits il y a cent ans par un soldat suisse mobilisé à la frontière. Son histoire rappelle celle de biens d’autres hommes dans sa situation : l’ennui du cantonnement, le manque de l’être aimé, l’angoisse d’un avenir pouvant ressembler à la réalité des armées en guerre, l’inquiétude pour les finances de la famille. Et, au détour d’une page, un courrier provenant de Bourg en Bresse, d’un ami français appelé sous les drapeaux de la République, persuadé d’une victoire rapide et glorieuse, suivi quelques feuillets plus loin, d’une seconde lettre signée de la même main, venant d’Allemagne cette fois, d’un camp d’internement pour prisonniers militaires.

Des évocations fugaces d’un temps, pas si lointain et pourtant si vite oublié. Disparus des mémoires ces soldats sanitaires de l’armée belge accueillis aux Verrières en 1915, dont les visages qui apparaissent sur l’un des clichés de l’album de Mme C. témoignent du soulagement ! Oblitéré ce photographe, lui-même immortalisé par un compagnon de focal, positionnant son appareil dans le but de figer sur ses plaques la cavalcade de dragons helvétiques. Un trésor donc qui sommeillait dans des malles depuis un peu moins d’un siècle, renfermant les traces d’une multitude de vies depuis longtemps éteintes.

Les archives de famille constituent ainsi parfois des sources de renseignements inédits justifiant leur conservation. Tel n’est malheureusement pas toujours le cas puisque certains, contrairement à Mme C., sont lestes à s’en débarrasser lorsqu’il s’agit de vider un grenier ou une cave. Un geste malencontreux alors qu’il suffit de demander l’avis de spécialistes, qu’ils soient historiens ou archivistes.

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.

Une réponse à “Les archives de famille

  1. Bravo pour ce plaidoyer en faveur de la préservation de notre mémoire et des archives, illustres ou humbles, car elles sont bien plus que des “vieux papiers” !

    “Une génération qui ignore l’histoire n’a pas de passé – ni de futur” / Robert Heinlein

    Une archiviste par passion

Les commentaires sont clos.